lundi 28 juillet 2014

C'est lundi, que lisez-vous ? (44)



C'est lundi, que lisez-vous ?

A l'origine, il s'agit d'un rendez-vous hebdomadaire inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane.  Après avoir testé cette formule durant un an, j'ai décidé d'en faire un rendez-vous mensuel et de ne le publier que le dernier lundi du mois. Mais comme dans la précédente version, il s'agira établir un échange autour de nos lectures passées, en cours et à venir.

J'ai consacré ce mois de juillet à la lecture de romans devant paraître lors de cette rentrée littéraire, à savoir : L'idiot du palais de Bruno Deniel-Laurent (éds Table Ronde), Pomme S (éds Phébus) -le 3ème opus de la trilogie d'Eric Plamondon 1984, La Chute des princes (éds Anne Carrière), Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse (éds Noir sur Blanc) et L'Ile du Point Némo de Jean-Marie Blas de Roblès (éds Zulma) que je n'ai pas encore fini. Toutes ces lectures feront l'objet d'une chronique à paraître d'ici un mois.

Au programme de ce mois d'août : terminer le roman de Blas de Roblès et lire en priorité les romans suivants :
La Ballade d'Ali Baba de Catherine Mavrikakis (éds Sabine Wespieser)
Un homme Klaus Kump... de Gonçalo M. Tavares (éds Viviane Hamy)
Price de Steve Tesich (éds Monsieur Toussaint Louverture)
L'Homme Provisoire de Sebastian Barry (éds Joëlle Losfeld)
Debout-Payé de Gauz (éds Le Nouvel Attila)

Je vous souhaite de belles lectures et pour certains d'entre vous de bonnes vacances.
N'hésitez pas à partager vos impressions.
A bientôt.


dimanche 20 juillet 2014

Pomme S

Eric Plamondon, Pomme S, éds Phébus

Mon coup de coeur :
" Il lui aura fallu trois vies pour comprendre que la réussite est une fiction. Il lui aura fallu trois destins pour apprendre que réussir sa vie n'est qu'une question d'histoire, n'est qu'une question de réussir à raconter une bonne histoire. Il lui aura fallu trois vies pour apprendre à raconter la sienne."
Ces trois histoires ce sont les trois récits qui composent ce triptyque -qui ne dit pas son nom- 1984 : Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise, Pomme S derrière lesquelles se cachent le destin grandiose et tragique de trois mythes américains : Johnny Weissmuller (grand champion olympique de natation né en Hongrie devenu plus tard le premier Tarzan de l'histoire du cinéma), Richard Brautigan (grand romancier américain et figure tutélaire de nombreux écrivains) et Steve Jobs (enfant adopté -fils naturel d'une allemande et d'un syrien- devenu une des personnalités américaines les plus influentes et les plus admirées au monde en tant que co-fondateur d'Apple et expert en marketing). Mais à côté de ces trois vies exemplaires nous assistons au destin bien plus modeste d'un petit canadien anonyme nommé Gabriel Rivages -alter ego d'Eric Plamondon- que le lecteur va voir grandir pages après pages, volet après volet et pour qui l'année 1984 symbolisera le début d'une nouvelle ère : "En 1984, Johnny Weissmuller meurt de vieillesse. Richard Brautigan se tire une balle dans la tête et Gabriel Rivages perd sa virginité." La même année Apple va lancer la Pub qui marquera le début du mythe de la marque à la pomme croquée et fera de Steve Jobs une star internationale. Directement inspirée de l'univers de Georges Orwell et réalisé par Ridley Scott -dont le film Blade Runner est encore alors dans tous les esprits- cette publicité montre une athlète s'élançant vers une écran géant et explosant brutalement l'image diffusant le discours de "Big Brother " et se conclue par cette phrase inspirée : "Le 24 janvier, Apple Computer va lancer le Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne sera pas comme "1984"." Cette pub voulait et "briser le mythe de l'informatique comme technologie envahissante et oppressante" et véhiculer l'idée que "l'ordinateur personnel est une force anticipatrice qui donne davantage de liberté." A cette époque Apple frappe un grand coup en permettant au grand public d'utiliser individuellement un ordinateur qui permet à chacun d'entre nous de laisser libre cours à sa créativité d'autant plus aisément que cet appareil est doté d'une interface graphique et d'icônes que l'on active d'un simple clique grâce à une souris reliant l'ordinateur à la main de son utilisateur.
Pour autant Pomme S n'est pas un éloge fait à Apple et encore moins à son célébrissime fondateur. Au contraire on sent le narrateur très critique envers ce Prométhée moderne qui a non seulement profité des avancées technologiques ultérieures pour parfaire ses créations mais aussi utilisé les outils de communication pour parfaire son image et celui de sa marque. "Steve Jobs est un motivateur, un gourou, un prêtre qui n'a qu'un dogme : chaque individu est responsable de son bonheur, tout n'est qu'une question de volonté (...). Avec le Macintosch " l'ordinateur est l'outil parfait de cette émancipation. Il nous donne la possibilité d'être qui nous voulons."
Pour comprendre ce qui se cache derrière le mythe, le narrateur passe en revue tous les éléments qui le
constituent, à savoir sa naissance et les symboles qu'il véhicule. Décomposer la vie de Jobs, c'est déjà réécrire l'histoire d'Apple. Sont ainsi convoquées les personnes et les inventions qui ont permis la création du Macintosh (le premier ordinateur individuel) afin de replacer Steve Jobs dans une lignée. Des siècles d'avancées scientifiques et technologiques (de Pascal à Packard en passant par Edisson, Bell, Turing, Wayne, Wiener, Lovelace, Fou-hi, de Vaucanson, Babbage, Einstein et d’autres encore) condensées ici en une centaine de pages. Et c'est toujours grâce à cette volonté de mettre à mal le mythe Apple que le narrateur démultiplie les références au symbole le plus illustre de l'enseigne : la pomme qui est le nom de la marque tout autant que son logo "Apple, Pomme, ça ne pouvait pas être plus simple" mais qui est aussi l'image du fruit de la connaissance tout autant que celle du fruit défendu... Sont ainsi cités en exemple la commande de sauvegarde informatique (pomme + s), le nom du premier ordinateur personnel qui n'est autre que celui d'une des pommes les plus répandues aux Etats-Unis (la Macintosh), la pomme d’Adam, celle du jardin d’Éden, la pomme empoisonnée avec laquelle Alan Turing se serait suicidé, celle qui serait tombée sur la tête d’Isaac Newton, celle omniprésente dans les tableaux de Magritte ou encore celle du jus de pomme que la mère de Steve Jobs lui faisait boire après ses nuits agités par de mauvais rêves...
Si ce qui importe ce n'est pas tant l'invention que la manière avec laquelle Steve Jobs a vendu son projet au public c'est-à-dire en racontant une histoire ("je raconte donc je suis"), replacer le parcours et la vie de ce dernier dans une plus vaste histoire c'est alors atténuer son profil de self-made man.

Comme dans Hongrie-Hollywood Express et Mayonnaise, Pomme S est un récit fragmentaire fait de digressions, de reprises, de commentaires hétéroclites qui balaye un grand nombre de thèmes et d'époques. Comme eux, c'est une réflexion sur la déchéance et la figure de la star. Sauf que cette fois le narrateur est loin d'être admiratif et on le devine moins sévère avec lui-même et ses proches que dans les précédents volumes. Maintenant qu'il est père de famille, ce qui semble le motiver c'est de réenchanter sa vie en la nourrissant de celle de trois destins grandioses et tragiques à la fois et de transmettre à son fils un témoignage de vie dont la conclusion reste positive.De ce fait Pomme S conclut brillamment cette trilogie initiatique et kaléidoscopique.

Ainsi derrière ces trois romans se cachent moins une contre histoire de la communication (des débuts de la machine à écrire à celle de l'ordinateur personnel en passant par le métier à-tisser ou les avancées des techniques cinématographiques) qu'un roman initiatique totalement bluffant. Le garçon rencontré dans les deux premiers volets est dorénavant un homme devenu père à son tour qui s'interroge toujours sur les notions de coup du sort, de réussite et de mythe mais aussi sur celle des origines. Si chaque opus est cohérent et peut se lire indépendant les uns de autres, c'est en lisant l'ensemble que le lecteur découvre ce qui motive profondément Rivages/Plamondon. Hongrie-Hollywood Express lui a permis de parler de sa mère, Mayonnaise de son père et Pomme S de parler de sa paternité. Plamondon passe par l'écriture de trois histoires pour au final n'en écrire qu'une seule : celle de Gabriel Rivages scandée par trois "révolutions" (cinématographie, littéraire et informatique). Et dans chacun des volumes, il a fait preuve d'une grande maîtrise dans l'art de la fragmentation, du commentaire cinglant et de la composition. 

C'est magistral, intelligent, passionnant, ça vibre... je vous conseille chacun des opus qui compose cette trilogie hors-norme et vous comprendrez alors pourquoi "1984" c'est plus que 1984.

challenge rl jeunesse

L'auteur :
Né au Canada en 1969, Eric Plamondon a été successivement pompiste, bibliothécaire, barmaid ou professeur (il a enseigné le français à l'université de Toronto). Il a étudié les sciences, l'économie, le journalisme. Il a quitté le Québec pour la France et vit désormais à Bordeaux où il travaille dans la communication.
Pomme S est le troisième roman publié en France par les éds Phébus après Hongrie-Hollywood Express et Mayonnaise. Il est parmi les 5 finalistes du Prix des libraires du Québec 2014.

Et plus si affinité :
Voir la fameuse publicité qui lança la carrière internationale du Macintosh d'Apple :

(vidéo mise en ligne sur Youtube par Antisubliminal)

jeudi 10 juillet 2014

Ma rentrée littéraire 2014



La rentrée littéraire 2014 arrive à grands pas (et oui !) et pour y voir plus clair parmi les 607 oeuvres à paraître (404 romans français dont 75 premiers romans et 203 romans étrangers) je vous propose -comme je l'avais fait l'année précédente- un bref panorama de la rentrée à venir. Voici donc en quelques lignes ma sélection. La liste proposée est loin d'être exhaustive. J'ai pu la rédiger avec des informations glanées auprès des professionnels du livre (éditeurs, libraires, représentants...) et de quelques recherches internet. J'ai délibérément choisi de ne pas parler de toutes les maisons d'éditions ni de toutes leurs publications, mais d'extraire parmi celles-ci quelques futures "têtes de gondoles" (petite concession à l'air du temps...) et surtout de mettre en avant ma propre sélection de livres à lire en priorité (en bleu).
Car -comme les années précédentes- je vais me jeter comme une affamée sur un grand nombre de ces récits dont je vous ferai la critique d'ici quelques semaines. 
Cette liste de lectures sera principalement composée d'auteurs que j'aime retrouver (Robert Goolrick, Sebastian Barry, Alice Ferney, Catherine Cusset,...), d'écrivains en manque de visibilité mais aussi d'anonymes. Ainsi, je laisserai volontairement de côté certains "incontournables" ("stars", "affiches"...) afin de consacrer davantage de temps pour découvrir des nouveaux talents et défendre des auteurs, récits, éditeurs "coups de coeur".
Voici donc mon guide personnel (et donc subjectif) pour bien démarrer cette rentrée 2014. Pour les personnes qui souhaitent en avoir une vision plus complète, je vous invite à consulter la lettre du libraire.


Actes Sud :
À l'origine notre père obscurKaoutar Harchi 
Le règne du vivant, Alice Ferney
Un monde flamboyant, Siri Husvedt
Tristesse de la terre, Eric Vuillard

Albin Michel :
Pétronille, Amélie Nothomb
Le Fils, Philipp Meyer
L'enfant des marges, Franck Pavlov
Le bonheur national brut, François Roux

Alma :
La Fractal des raviolis, Pierre Raufast
La part des nuages, Thomas Vineau

Autrement :
Retour à Little Wing, Nickolas Butler

Arléa :
Portrait d'après blessure, Anne Gestern

Belfond :
L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, Haruki Murakami

Buchet Chastel :
Une vie d’empruntBoris Fishman
Cent sept ansMarie-Aimée Lebreton
JosephMarie-Hélène Lafon
L’Incertitude de l’aubeSophie Van der Linden

Christian Bourgois :
Oeuvres vives, Linda Lé

Anne Carrière :
La Chute des princes, Robert Goolrick
Jusqu'ici et pas au-delà, Joachim Meyerhoff

Cambourakis :
Knut, Olivier Saison

Cherche Midi :
La Terreur, Patrick Wald Lasowski
Enon, Paul Harding

Flammarion :
Peine perdue, Olivier Adam
L’écrivain nationalSerge Joncour
Un secret du Docteur Freud, Eliette Abécassis
Une vie à soi, Laurence Tardieu
Voyageur malgré lui, Minh Tran Huy

Gallimard :
Charlotte, David Foenkinos
Une éducation catholique, Catherine Cusset
La loi sauvage, Nathalie Kupperman

Gallmeister :
Deep Winter, Samule Gailey
Goat Mountain, David Vann

Grasset :
Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, Christophe Donner
Oona & amp, Salinger, Frédéric Beigbeder
Le monstre, Serge Doubrovsky
Le roi disait que j'étais diable, Clara Dupont-Monod
Mourir de penser, Pascal Quignard

J.C. Lattès :
On ne voyait que le bonheur, Grégoire Delacourt

Joëlle Losfeld :
L'homme provisoire, Sebastian Barry
Des objets de rencontres, Lise Benincà

Julliard :
Un Tango en bord de mer, Philippe Besson
Les tribulations du dernier Sijilmassi, Fouad Laouri

Liana Levi :
Marina BellezzaSilvia Avallone
Le Chant du convertiSebastian Rotella

Mercure de France :
Bronx amerJerome Charyn

Métailié :
Topologie de l’amourEmmanuel Arnaud 
L'été des noyés, John Burnside
Hérétiques, Léonardo Padura
Tram 83Fiston Mwanza Mujila
Le détroit du loup, Olivier Truc

éds de Minuit :
Le triangle d'hiver, Julia Deck
Autour du monde, Laurent Mauvignier

Monsieur Toussaint Louverture :
Price, Steve Tesich

Noir sur Blanc :
Le dernier gardien d'Ellis Island, Gaëlle Josse

Le Nouvel Attila :
Debout-PayéGauz

éds de L'Olivier :
Photos volées, Dominique Fabre
Jacob, Jacob, Valérie Zenatti
Et rien d'autre, James Salter

Phébus :
Pomme SEric Plamondon
La Couleur du laitNell Leyshons

Philippe Rey :
L'homme de la montagne, Joyce Maynard
Les Indomptés, Nathalie Bauer

Plon :
La prophétie de JonasJoshua Max Feldman

POL :
Le Royaume, Emmanuel Carrière

Sabine Wespieser :
La ballade d'Ali Baba, Catherine Mavrikakis
L'odeur du Minotaure, Marion Richez

Serge Safran éditeur :
AÿmatiBéatrice Castaner

Seuil :
Viva, Patrick Deville
Fonds perdus, Thomas Pynchon
Terminus radieuxAntoine Volodine

Stock :
Le jour où tu m'as quittée, Vanessa Schneider
Selon Vincent, Christian Garcin
Tout ce que je sais de l'amour, Michela Marzano

Table Ronde :
L'idiot du palais, Bruno Deniel-Laurent
Aristote, mon père, Annabel Lyon

Le Tripode :
L'Homme qui s'aime, Robert Alexis

Verdier :
Histoire d'un médecin russe, Maxime Ossipov

éds Verticales :
Mécanisme de survie en milieu hostile, Olivia Rosenthal
Dancing with myself, Ismael Jude

Viviane Hamy :
Fleur et Sang, François Vallejo
Un homme : Klaus Kump et la machine de Joseph Walzer, Gonçalo M. Tavares
Monsieur Swedenborg, Gonçalo M. Tavares

Zulma :
L'île du point Némo, Jean-Marie Blas de Roblès
Le complexe d’Eden BellwetherBenjamin Wood

Cette liste évoluera au fil des rencontres, conseils, flâneries que je ferai d'ici la fin du mois d'août. Parmi ces romans, il y aura des coups de coeur, des abandons, des déceptions voire des coups de gueule. Tout les livres cités ne feront pas partie de ma PAL :




La plupart de ces lectures bénéficieront d'un compte-rendu à paraître pour la fin août. Pour les plus tardives, il faudra patienter jusqu'en octobre pour connaître mes impressions.
En attendant je vous invite à parler à vos libraires, à naviguer sur les blogs et sites d'éditeurs et à consulter les différents magasines culturelles...
Vous pouvez également suivre cette rentrée littéraire sur ma page facebook.
En attendant de vous retrouver pour des échanges passionnés sur le blog, je vous souhaite de belles lectures.


Paris, le 11/07/2014

mardi 8 juillet 2014

eux sur la photo

Hélène Gestern, Eux sur la photo, éds Arléa

Mon coup de coeur :
Comment combler les blancs qui entourent son existence à partir d'une photographie découverte accidentellement ? Comment redonner vie à une mère disparue depuis bien des années ? Comment justifier le silence d'un père et les non-dits d'une belle mère ? Enfin, peut-on redonner sens à sa vie à partir d'un manque (celui d'une mère disparue trop tôt) et de nombreux silences ?
"Oui, il est insupportable de ne pas savoir ; ce silence familial est un poison qui contamine tout ce qu’il touche, nos rêves, nos peurs, nos vies d’adultes. Et il finit par nous replier autour de de nos questions trente ou quarante ans après."
C'est ce poison que tente d'extraire et de réduire à néant Hélène Hiver, jeune parisienne célibataire d'une quarantaine d'années, après avoir trouvé dans les papiers de son père une photo de groupe sur laquelle figure sa mère et deux beaux inconnus.
Intriguée, elle publie une petite annonce dans un journal grâce à laquelle elle réussit à prendre contact avec Stéphane, le fils d'un des deux hommes sur la photo. Désireux de se réaproprier leur histoire familiale et de combler le vide et le silence qu'entoure leur vie -chacun de leur côté- ils vont se plonger dans leurs archives personnelles et ainsi déterrer de nombreux secrets et plusieurs photos à partir desquelles ils vont questionner leurs souvenirs et ceux de leurs proches. Au fur et à mesure de leur enquête et de leurs nombreuses correspondances, nos deux protagonistes vont reprendre possession de leur histoire familiale mais également apprendre à se connaître, à se reconstruire et s'apprécier mutuellement.
Toutefois leur recherche va aboutir à la révélation d'un drame dont aucun des protagonistes -qu'ils aient été sur la photo ou non- ne s'en remettra totalement. La découverte finale bouleverse davantage Hélène et Stéphane qu'elle ne réussit à les apaiser. Seule leur  relation épistolaire (quelques lettres et de nombreux mails) sont une réelle source de bonheur :
"Chère Hélène, oui, nous voici promus au rang d'archéologues familiaux et cette situation n'est pas des plus confortables, même si l'on se prend au jeu, de temps en temps. Parfois, je me dis que si l'enquête ne donne rien, du moins j'aurai pu faire votre connaissance et partager avec vous quelques-uns de ces silences qui me pèsent tant, en temps ordinaire."
A travers ces instantanés de vie, Anne Gestern compose un roman qui tient tout à la fois du drame familial et du roman épistolaire moderne et dans lequel la photographie est à la fois un élément narratif majeur (chaque chapitre commence par la description d'une photo) et l'un des sujets du roman : peut-on réellement connaître et comprendre nos proches à travers des photographies pris à un moment donné de leur vie ? Eux sur la photo est un récit qui questionne tout à la fois la fiabilité des souvenirs et celle des images. Hélène Gestern parle admirablement bien du pouvoir ambivalent de toute photographie qui fige pour l'éternité un temps révolu sans en donner de signification pour celui qui la regarde des années après.

La romancière compose progressivement un drame familial mais aussi une intrigue sentimentale et policière qui saisit le lecteur désireux de connaître le passé des personnages et d'assister à leur rapprochement.  En conclusion, Hélène Gestern nous offre un beau retour dans le passé qui ne manquera pas d'émouvoir chacun d'entre-nous. Ce roman a été l'un de mes grands coups de coeur de la rentrée littéraire 2011.


L'auteur :
Romancière française née à Nancy en 1971, Hélène Gestern s'est fait connaître par ce première roman remarqueble Eux sur la photo (Arléa, 2011) grâce auquel elle a reçu de nombreux prix. Elle est également l'auteur du Chat (éds Emoticourt, 2013), de La part du feu (Arléa, 2013) et de Portrait après blessure (Arléa, à paraître pour la rentrée 2014).

samedi 5 juillet 2014

les trois lumières

Claire Keegan, Les trois lumières, éds Sabine Wespieser et 10/18

Mon coup de coeur :
Dans la chaleur d'une journée estivale, un père emmène sa fillette dans la ferme des Kinsella au fin fond de l'Irlande rurale. Elle y restera le temps que sa mère accouche de la petite dernière. Trop pauvres pour subvenir aux besoins -même les plus élémentaires- des leurs, ce père abandonne sa gamine à un couple de fermiers le temps d'une saison. Alors que dans sa famille véritable, la petite vivait une existence morne et sans attention, elle va progressivement découvrir aux côtés de ses "parents d'âme et de coeur" la bienveillance, l'amour mais aussi le travail quotidien dans la maison ou dans les champs. Livrée à elle-même, la petite va même découvrir le monde des adultes et, au gré de nombreuses veillées organisées par les Kinsella, les parties de cartes. Elle va progressivement s'habituer au tempérament taciturne de Mr Kinsella et à celui enjoué de sa femme et apprivoiser ses craintes et ses questionnements pour profiter de l'amour qui circule au sein de cette famille sans enfant mais pas sans secret. Elle vit même un état de grâce absolu lorsque le père Kinsella lui fera découvrir les trésors cachés qu'offrent les paysages de cette campagne irlandaise. Et quand après des mois passés dans cette ferme il lui faudra retourner chez elle, la petite décidera de rester auprès de ses parents adoptifs afin de les aider à surmonter ensemble leur drame familial, l'unique secret que ses hôtes lui ont dissimulé.

En quelques centaines de pages, l'auteur nous livre un récit poétique et lumineux sur l'amour (filial et maternel) et les renoncements nécessaires. Claire Keegan a su rendre avec délicatesse et pertinence la complexité des personnages et des liens qui les unissent mais aussi la rudesse de la vie rurale. Elle a su également instaurer un climat de mystère dans ce roman qui nous entraîne à travers la campagne irlandaise auprès de paysans taciturnes au grand coeur. Ce roman éveille tout les sens. Comme notre petite héroïne, le lecteur réapprend à voir, sentir et écouter les objets, les lieux et les êtres si présents dans ce récit.  La prose de Keegan est magique. Ne passez pas à côté de ce joyau romanesque !

L'auteur :
Claire Keegan est un romancière irlandaise né en 1968 dans le conté Wiclow. Auteurs de nouvelles -Antarctique, Les trois lumières, A travers les champs bleus (tous publiés chez Sabine Wespieser), elle est membre de l'associatio Aosdana et enseigne actuellement aux Etats-Unis.