lundi 7 octobre 2013

Compagnie K

pour le bruit des livres
William March, Compagnie K, éds Gallmeister

Mon coup de coeur :
Compagnie K de William March nous propose une incroyable immersion au sein d'une compagnie de soldats américains empêtrés dans les tranchées françaises en 1917. On assiste avec elle aux bombardements, aux choix stratégiques, aux nuits glaciales sous la pleine lune, aux moments de répit dans un bar/une ferme/un champ... Chacune des histoires peint un moment capital de la vie de son narrateur. Chaque chapitre est un instanté qui nous fait entendre à tour de rôle la voix de tous les soldats de cette compagnie (113 au total), alors qu'ils sont confrontés à la mort, à la folie, à l'indifférence voire à l'incompétence de leur hiérarchie ou dans le meilleur des cas à un bref mais intense moment de réconfort comme peuvent l'être une soirée en compagnie d'une femme, l'opportunité de boire un verre ou celle de revenir chez soi vivant bien qu'amputé. Quelques pages pour dire quelques minutes, heures, jours de cette guerre inhumaine, grotesque et hasardeuse.
Chacun des récits a non seulement un sens et une force qui lui est propre mais encore tous participent à la puissance du recueil dans son ensemble. Et il faut bien toutes ces voix singulières pour cerner l'horreur des combats ! Des voix qui tantôt se complètent tantôt se contredisent mais qui toutes permettent de dresser un tableau le plus fidèle possible de la réalité. Qu'ils soient soldats, sergents ou lieutenants; qu'ils se nomment Hunzinger, Matlock, Jewett ou Carroll..., chacun contribue à rendre tangible le vécu de cette compagnie. Les passages les plus sombres côtoient alors d'autres plus grotesques, invraisemblables ou cocasses.
Inspiré de l'expérience militaire de son auteur, ce récit nous fait ressentir les manques, les rêves et la soif de vie de tous les personnages. Nous sommes incroyables proches d'eux. La forme polyphonique du récit et la brutalité du propos m'ont réellement saisie. La sécheresse des points de vue et la multiplicité des perspectives narratives permettent non seulement d'entendre sans intermédiaire la voix des différents acteurs de cette guerre quelque soit leur grade, leur parcours ou leurs opinions politiques mais encore de se confronter à un large éventail de sentiments humains, de situations et d'atmosphères. C'est un véritable concentré d'humanité qui nous est offert. Parmi les soldats il y a en des sympathiques, des désespérés, des fous, des incapables, des doux rêveurs, des pragmatiques, des crapules, des idéalistes... Etre confrontée à leurs pensées les plus intimes et à leurs actes les plus braves ou au contraires les plus dégradants les rendent pour tant tous touchants et terriblement humains. 
De de cette lecture, il en ressort qu'au-delà de la volonté d'affronter l'ennemi allemand et d'en finir avec cette guerre, ces compagnons d'infortune disent l'injustice et l'absurdité qui régissent leur quotidien.

Compagnie K n'est pas un énième récit sur la guerre, c'est un témoignage précieux sur les horreurs de la Grande Guerre, un roman qui refuse de rendre celle-ci séduisante, politique et poétique et c'est aussi l'un des seuls témoignages américains sur ce thème. C'est un livre abrupte sans sensationnalisme ni romantisme qui nous confronte immédiatement à la vie de ces hommes pris au piège de l'Histoire. C'est sublime, saisissant et cruel mais aussi parfois drôle et absurde. Je suis heureuse que les éds Gallmeister (coll° Americana) est promu ce roman -véritable requiem pour des hommes perdus pour tous et abandonnés par tous- lors de cette rentrée. Bien qu'apocalyptique, ce récit ne se lâche pas facilement tant il nous parle de notre condition humaine. A ne pas manquer car il va rapidement devenir un classique de la littérature comme A l'ouest rien de nouveau d'Erich Maria Remarque (éds LGF).




L'auteur :
William Edward Campbell -qui se fera par la suite appelé WILLIAM MARCH (1893-1954)- est né en Alabama. En 1917, il s'engage dans l'US Marine Corps et combat en France pendant la Première Guerre mondiale. Il en revient revient décoré de la Croix de Guerre, de la Distinguished Service Cross et de la Navy Cross mais il garde un profond dégoût de cette expérience. Hanté par les combats, il fera de nombreuses dépressions et mettra dix ans à écrire Compagnie K, son premier roman publié en 1933. Il se consacre ensuite à l'écriture et publie plusieurs recueils de nouvelles et romans. Finaliste du National Book Award, il était considéré comme “le génie méconnu de notre temps” (dixit le critique et auteur Alistair Cooke).

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