dimanche 31 mai 2015

L'ours est un écrivain comme les autres

William Kotzwinkle, L'ours est un écrivain comme les autres, éds Cambourakis

Mon coup de coeur :
Arthur "Art" Bramhall est un éminent professeur d'université qui rêverait d'abandonner définitivement l'enseignement pour devenir le nouvel Hemingway, le nouveau grand auteur américain des contrées sauvages. Pour ce faire, il s'est isolé dans la forêt du Maine pour y taper un roman novateur, un futur chef-d'oeuvre. Après une première déconvenue (son manuscrit termine en cendres suite à un incendie bien malheureux) notre futur grand romancier travail d'arrache-pied pour réécrire un autre récit: "Ayant abandonné l'idée de plagier un best-seller, il écrivit fiévreusement, à coeur ouvert, guidé par son inspiration -sur l'amour et le désir, le chagrin, et les forces de la nature, au pouvoir desquelles il s'était initié. (...). Les scènes de sexe y étaient nombreuses, mais elles entretenaient désormais des liens avec les humeurs immémoriales des forêts, le chant des corbeaux, le glapissement des renards et le crépitement d'un feu dans l'âtre". Certain de pouvoir désormais conquérir le monde littéraire, Art s'empresse de dissimuler son trésor dans une mallette au pied d'un arbre. Mais c'est bien mal connaître les ours et leur grande curiosité. Parti à la recherche de quelques douceurs à manger, un ours déterre la mallette avant de s'enfuir avec. Ce n'est qu'une fois en sécurité qu'il découvre le texte de Bramhall et décide -après une lecture attentive- de se l'approprier. Il est vrai que avec ses nombreuses scènes "d'accouplement et plusieurs scènes de pêche (...) Ce livre a tout".
Quelques vêtements neufs, un nom d'emprunt qui sonne bien -Dan Flakes (en référence à la célèbre marque de céréales)- et un roman atypique au titre racoleur "Désir et Destinée" contribuent à faire de cet ours un auteur sympathique et populaire mais aussi un personnage laconique et mystérieux sur lequel chacun de ses interlocuteurs projette sa propre vision de ce qu'il est "réellement". Le narrateur nous offre alors de belles scènes incongrues et savoureusement comiques (j'aime particulièrement la scène de la file d'attente à la caisse d'un supermarché pp 47-49) ainsi que des personnages excessivement drôles et ridicules.
Dans cette univers littéraire où se fréquentent des auteurs allumés, des agents obnubilés par l'argent et des éditeurs aveuglés par la possibilité d'un succès, Dan Flakes s'en sort tant bien que mal. Il s'en sort d'autant mieux que sa seule présence révèle le véritable tempérament de ses interlocuteurs ainsi que leurs pensées et ambitions les plus intimes et les moins avouables. Mais au fil du récit son comportement risque de le mener à sa perte. De plus en plus porté par son besoin d'être considéré comme une personne à part entière mais aussi par son désir de jouir pleinement des avantages de cette société (qui lui donne si facilement pléthore de mets à portée de patte) ou encore par sa peur viscérale de terminer dans un zoo, Dan devient incontrôlable et insaisissable notamment pour son entourage professionnel.
Et tandis que notre ours devenu Dan Flakes devient un écrivain adulé par la foule et le monde littéraire, Arthur Bramhall déprime et décline tant physiquement que psychologiquement et ce malgré la présence de voisins eux aussi haut en couleurs. Il déprime au point de perdre son apparence humaine et de ressentir le nécessité d'hiberner comme... un ours. Jusqu'au jour où, après avoir découvert un article parlant de l'auteur de Désir et Destinée, notre ancien professeur et tout récent ermite décide de sortir de sa grotte et d'attaquer Dan Flakes et son éditeur en justice. Mais la justice ne s'attache t-elle pas au paraître... à l'instar des milieux artistiques.
A travers ces deux parcours qui se répondent alternativement, le narrateur nous offre une peinture mi-féroce mi-amusée des agents littéraires, des éditeurs, des lecteurs mais aussi de la justice, du monde universitaire et du monde rural.

William Kotzwinkle nous offre le double récit d'un ours qui -pour devenir une personne- devient un écrivain très en vogue (grâce à une heureuse subtilisation) puis un Lord (après avoir acheté un titre de noblesse laissé vacant) et celle du véritable auteur du best-seller qui devient -après avoir perdu successivement son manuscrit, son poste et son ambition- un ours au sens propre du terme. Plus qu'une satire sur le milieu littéraire nourrit de quiproquos, de personnages comiques, ridicules et attachants, L'ours est un écrivain comme les autres est un récit jubilatoire sur une double quête identitaire qui se savoure du début à la fin.


L'auteur:
Né en 1938 en Pennsylvanie, William Kotzwinkle est un auteur et scénariste américain connu pour sa novélisation du scénario de E.T. réalisé par Steven Spielberg en 1982. Il est aussi l'auteur de Fan Man (éds Cambourakis, 2008), de Fata Morgana (éds Rivages/Mystère no 2, 1988), de Book of love (éds Rivages/Écrits noirs, 1992), de Midnight Examiner et Le Jeu des trente (éds Rivages/Thriller, 1990 et 1995).

Et plus si affinités:
L'ours occupe une place singulière dans de nombreuses légendes et récits mythologiques. Son anthropomorphisme avait déjà inspiré l'auteur Andrus Kivirähk dans  L'homme qui parlait la langue des serpents  (éds Attila/ Le Tripode).

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire