lundi 30 juin 2014

C'est lundi, que lisez-vous ? (43)

C'est lundi, que lisez-vous ?


A l'origine, il s'agit d'un rendez-vous hebdomadaire inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane.  Après avoir testé cette formule durant un an, j'ai décidé d'en faire un rendez-vous mensuel et de ne le publier que le dernier lundi du mois. Mais comme dans la précédente version, il s'agira établir un échange autour de nos lectures passées, en cours et à venir.

En juin j'ai donc lu du "classique" Nagasaki d'Eric Faye (éds Stock) et Quand le requin dort de Milena Agus (éds Liana Levi) mais aussi une nouveauté Toute les couleurs du monde de Giovanni Montanaro (éds Grasset).
Je lis actuellement L'idiot du palais de Bruno Deniel-Laurent (éds Table Ronde). Ce livre est un des titres de la rentrée littéraire.
D'ailleurs, mes prochaines lectures seront essentiellement consacrées aux romans de cette rentrée 2014. Font déjà partie de ma PAL les titres suivants : 
Des objets de rencontre de Lise Benincà et L'homme provisoire de Sebastian Barry (éds Joëlle Losfeld)
Photos volées de Dominique Fabre (éds de l'Olivier)
Aristote, mon père d'Annabel Lyon et (éds Table Ronde)
Pomme S (éds Phébus), le 3ème opus de la trilogie d'Eric Plamondon 1984...

Et vous ? Où en êtes-vous de vos lectures ? Quels ont été vos coups de coeur ou vos déceptions ?
Bonnes lectures et à bientôt !



dimanche 29 juin 2014

Nagasaki

Eric Faye, Nagasaki, éds Stock et J'ai Lu

Mon coup de coeur :
Shimura-San est un quinquagénaire japonais météorologue de profession qui vit une existence solitaire et réglée comme du papier musique. Cet homme très ordonné tient une maison propre où tout est à sa place mais depuis plusieurs jours, une impression étrange le tenaille : celle de voir des objets disparaître ou être déplacés. En effet de minuscules détails lui laisse penser qu'un intrus pénètre chez lui pour lui dérober un yaourt, du poisson, de la boisson ou pour jouir du confort qu'offre sa demeure.
Un jour exaspéré par ce sentiment d'insécurité, il décide de placer des caméras à des endroits stratégiques de sa maison et de les visionner en catimini sur son lieu de travail. C'est dans ces circonstances qu'il découvre stupéfait qu'une dame à peine plus âgée que lui vit dans cette maison à son insu et ce depuis longtemps. D'une extrême discrétion, elle avait longtemps réussi à vivre dans le pavillon de son "hôte" sans laisser le moindre indice. Sans doute s'est-elle sentie plus à l'aise le temps passant.
Depuis qu'il se sait victime d'une violation de domicile, notre homme n'arrive plus à se sentir chez lui dans sa propre maison et se sent dépossédé de tout : " J’étais ébranlé. L’intérieur de mon frigo était en quelque sorte la matrice sans cesse recommencée de mon avenir : là m’attendaient les molécules qui me donneraient de l’énergie dans les jours suivants, sous la forme d’aubergines ou de jus de mangue, et que sais-je encore. Mes microbes, mes toxines et mes protéines de demain patientaient dans cette antichambre froide et l’idée qu’une main étrangère attentait à celui que je deviendrais, par des prélèvements aléatoires me troublait au plus profond. Pire : cela me révulsait. C’était ni plus ni moins une sorte de viol." Pourtant un sentiment de culpabilité ou du moins de responsabilité perturbe notre personnage qui finit par chercher à comprendre les motivations de sa clandestine. Il se voit alors contraint de sortir de sa coquille, de s'interroger sur sa propre vie et de prendre conscience de la vacuité de sa vie d'avant. Quoiqu'il en soit, notre employé modèle n'en veut pourtant pas à son hôte clandestine, elle aussi victime sans domicile ni repère dans cette ville dévastée où elle a longtemps cru avoir sa place.
De son côté, pour le remercier de "sa retenue" lors de son procès, cette dernière décide de lui narrer son parcours dans une longue et belle lettre. Ainsi découvre-t-on au fil des pages la vie d'une femme devenue chômeuse qui s'est retrouvée à la rue et pour qui s'approprier le confort de son hôte et l'espionner devenaient un moyen de redécouvrir avec bonheur ce que peut être un chez soi et de retrouver un peu de confiance et de dignité.
En une centaine de pages, Eric Faye instaure un climat de mystère et de questionnements métaphysiques en confrontant deux voix et deux solitudes : celle de Shimura-San et celle de son bourreau, cette femme esseulée qui a perdu successivement son travail et sa maison mais qui a trouvé chez notre météorologue un lieu pour se ressourcer.



Inspiré d’un fait divers, Nagasaki est un récit singulier sur l'identité, la mémoire et l'altérité. C'est aussi un livre qui parle de notre relation aux objets et aux souvenirs. Nous avons la certitude de connaître les lieux que nous habitons et de les retrouver tels quels après notre journée de travail, or que se passerait-il si comme Shimura-San nous constaterions qu'un squatteur profite de ce lieu sanctuaire à nos dépens ? Comme dans le roman cet individu viendrait perturber notre rapport aux choses et ébranler nos certitudes. Finalement ce sont les choses qui nous possèdent plus que nous les possédons.

Eric Faye évoque avec finesse les rapports humains dans une société de consommation qui développe l'individualisme et en fait une valeur refuge quitte à laisser sur le bord de la route des êtres qui n'ont pas eu la chance de pouvoir profiter du système : "Que signifie encore ce nous qui revient à tire-larigot dans les conversations ? Le nous meurt. Au lieu de se regrouper autour d’un feu, les je s’isolent, s’épient. Chacun croit s’en sortir mieux que le voisin et cela, aussi, c’est probablement la fin de l’homme."
Je vous recommande vivement ce récit insolite et émouvant.

L'auteur :
Né en 1963 à Limoges, Eric Faye est journaliste pour l’agence Reuters. Il est également l'auteur de nombreux essais, nouvelles et romans dont Je suis le gardien du phare (Prix des Deux magots, 1998), Croisière en mer des pluies (Prix Unesco, 1999) ou l'Homme sans empreintes (Stock, 2008). Il a reçu pour Nagasaki le Grand prix du roman de l'académie française en 2010.

vendredi 20 juin 2014

Une putain de catastrophe

David Carkeet, Une putain de catastrophe, éds Monsieur Toussaint Louverture

Mon coup de coeur :
Comment à partir d'un sujet de la quotidienneté -les disputes conjugales, David Carkeet (l'auteur de l'étonnant Le linguiste était presque parfait) compose un roman qui tient à la fois du polar, de l'étude sociologique, de l'essai linguistique et de la comédie burlesque ( voire du picaresque ) ? L'auteur y arrive essentiellement pour trois raisons. Premièrement en mêlant savamment un sujet sérieux à des éléments perturbateurs et rocambolesques tels que le caractère et l'attitude de personnages plongés dans un quotidien teinté de loufoquerie dans lequel ils ne réussissent pas à s'adapter; ensuite en composant une trame et une construction narratives audacieuses et irréprochables; enfin en faisant de sa discipline de prédilection -la linguistique- l'un des sujets principaux de son roman. Si notre récit relate les relations de couple lorsque celui-ci est confronté à la routine et à la rancoeur, son fil conducteur est l'apport de cette discipline comme remède pour venir à bout des querelles conjugales. En fait, David Carkeet élabore progressivement une nouvelle forme de thérapie comportementale et cognitive dont l'outil principal est la linguistique.
Dans Une putain de catastrophe, on continue donc de suivre les mésaventures de notre linguiste "presque parfait" Jérémy Cook ( toujours obsédé par sa réputation et obnubilé par les adverbes Kickapou ) alors qu'il mène sa première mission pour son tout nouvel employeur l'extravagant Mr Roy Pillow, PDG de l'agence du même nom. Cette mission consiste à résoudre les problèmes relationnels des couples souffrant de "troubles linguistiques" en y envoyant un observateur dont les connaissances en linguistique sont à même de traquer "l'horreur (qui) se cache au sein de chaque couple" et qui nuit insidieusement à entente conjugale. C'est ainsi que nous assistons assez rapidement à l'immersion de Cook chez Beth et Dan Wilson -un couple de la middl class américaine marié depuis une dizaine d'années et parents d'un charmant garçonnet prénommé Robbie mais qui n'arrive plus ni à s'écouter ni à se parler et encore moins à se confier aux autres.
En 415 pages, nous voyons notre anti-héros se débattre avec ses hôtes, son patron et ses certitudes afin de traquer et disséquer les irritants qui empoisonnent la vie de Beth et Dan. Seulement notre gauche et misanthrope linguiste possède t-il réellement les facultés et les outils pour partir sur les traces de cette "horreur", la cerner, la prendre au piège et permettre ainsi à ses patients/clients de continuer à vivre ensemble les liens sacrés du mariage? Pour ce faire et grâce à (malgré ?) l'étonnant et incompréhensible manuel Pillow, notre détective en herbe tâtonne, espionne, gaffe, s'emballe et fait marche arrière jusqu'à la révélation finale.

Les romans de Carkeet se caractérisent par ces quelques éléments essentiels : un univers fait de quotidienneté et d'absurde, un personnage insaisissable, un ton ironique et une intrigue rondement menée le tout dans une composition narrative cohérente bien que indéniablement travaillée. Ici, d'un sujet trivial ( les problèmes relationnels dus à des non-dits ou a des habitudes de communication inadéquates ), David Carkeet réussit un polar unique avec des suspects inhabituels comme la "shismogénèse complémentaire" ou  "l'échec thématique" et un coupable démasqué in-extremis. Là où le narrateur est très fort c'est qu'il arrive à nous entraîner dans cette enquête policière d'un nouveau genre tout en nous questionnant à la fois sur nos réflexes langagiers et sur la vie conjugale. Car non seulement ce roman nous met face à nos problèmes de communication interpersonnelle souvent liés à un mécanisme de défense inconscient mais il nous dit aussi beaucoup sur notre façon d'aimer au quotidien une fois que l'ardeur initiale s'est estompée. Et ( petit bonus ! ) tout en dézingant les méthodes utilisées par les thérapies comportementales, cognitives et les livres de développement personnel, l'auteur dresse sous nos yeux le tableau hallucinant d'une famille de la petite bourgeoisie américaine vivant dans une banlieue calme du Midwest et plus globalement celui d'une société de consommation qui ne rend pas les individus plus heureux mais les enferme dans un train-train quotidien dont ils n'arrivent plus à se dépêtrer. 

Une putain de catastrophe est un roman réjouissant et inclassable dont la puissance narrative et le sarcasme nous entraîne à travers un univers de polar "sociologico-linguistique" ( pardon pour ce néologisme ).  Il y a de la folie, du culot, de la perspicacité et de la tragi-comédie dans ce récit totalement fou et pourtant non dénué de vraisemblance. En bref, vous y trouvez du Lodge, du Woody Allen et du Monthy Python dans ce livre délicieusement loufoque. J'ai dévoré ce livre dont je vous recommande vivement la lecture !!!


L'auteur : 
Né en 1946 en Californie, David Carkeet est un romancier et essayiste américain diplômé de Linguistique, discipline qu'il enseigne durant 30 ans.
Auteur de 6 romans, seuls deux sont actuellement disponibles en France :
Le linguiste était presque parfait et Une putain de catastrophe ( éds Monsieur Toussaint Louverture) traduit en français plus de 20 ans après sa publication américaine.

Et plus si affinités:
Votre couple a-t-il besoin d'un linguiste à domicile ? Pour le savoir, faites comme Beth et Dan, testez vous couple en répondant séparément à ce questionnaire, mais attention Le bruit des livres décline toute responsabilité en cas de désaccords majeurs ;-) :
  • Décrivez comment vous vous êtes fait la cour ?
  • Y a-t-il eu une demande en mariage officielle ?
  • Comment avez-vous pris la décision de vous marier ?
  • Quelle qualité préférez-vous chez elle/lui ?
  • Quel défaut aimez-vos le moins chez elle/lui ?
  • Est-ce important pour vous de comprendre la vie intérieur de votre conjoint ?
  • Qui initie des discussions, en générale ?
  • Décrivez une discussion positive typique.
  • A quelle fréquence avez-vous ce genre de discussion?
  • Décrivez une discussion négative typique.
  • A quoi ressemble vous disputes ?
  • Vous arrive-t-il de prendre plaisir à vous disputer ?
  • Qui en sort vainqueur ?
  • A quoi ressemble votre vie sexuelle ?
  • Quelle est la fréquence de vos rapports ?
  • Etes-vous sûrs ?
  • Cette fréquence vous satisfait-elle ?
  • En général, qui prend l'initiative dans ce domaine là ?
  • Avez-vous un orgasme régulièrement, tous les deux ?
  • Qui jouit en premier ?
  • Pourquoi ?
  • Parlez-vous pendant l'amour ?
  • De quelle manière vos rapports sexuels ont-ils évolués dans le temps?
  • Que fait elle/il qui vous énerve ?