dimanche 16 mars 2014

Monastère

Eduardo Halfon, Monastère, éds La Table Ronde


Mon coup de coeur :
C'est après un long et pénible voyage de 15 heures qu'Eduardo arrive à Jérusalem pour assister au mariage de sa soeur. Dès son arrivée, rien ne se passe comme prévu et tout le pousse à repartir. Il ne supporte ni les conditions atmosphériques propres à cette région, ni son futur beau frère -un juif orthodoxe de Brooklyn-, ni sa soeur qu'il ne reconnaît plus et encore moins cette chambre d'hôtel insalubre et bruyante qu'on lui a imposée et dans laquelle il n'arrive pas à dormir. Heureusement il y a la belle Tamara, cette hôtesse de l'air qu'il a autrefois connu alors qu'elle voyageait au Guatemala. Après la désastreuse visite de Jérusalem, la décevante rencontre avec son beau frère et les nombreux désaccords familiaux, Eduardo décide d'accepter l'invitation de la jeune femme et de fuir à ses côtés.
Au cours de leur excursion, il se remémore les événements marquants de sa vie ainsi que ceux de sa famille - des juifs éparpillés au quatre coin du monde- et surtout ceux de son grand-père polonais qui fut autrefois déporté à Auschwitz. Le récit prend alors une autre dimension. Commence alors pour nous comme pour notre personnage un va-et vient spatio-temporel entre présent et différentes périodes du passé, entre Israël, Pologne et Guatémala. Ces réminiscences obligent inéluctablement Eduardo à se questionner sur sa généalogie, sur la Shoah et sur son rapport à sa judéité. Car c'est loin de son pays natal qu'il trouve la force d'aller au bout de son questionnement identitaire. Et c'est en laissant affleurer ses souvenirs qu'il finit par se rappeler de l'histoire de ce garçon juif que ses parents avaient habillé et coiffé en fille afin de le confier à un monastère pour qu'il échappe au génocide.
Avec grâce et détermination, Halfon nous offre un grand et beau récit familial. Ici aussi l'art du romancier tient dans la musicalité de son récit, le dévoilement progressif de ce qui fait le noeud de l'intrigue : la personnalité de son personnage -son identité, ses angoisses et ses aspirations. Car s'il y a plusieurs histoires dans ce roman il n'y a qu'un seul pivot : l'être humain et en l'occurrence Eduardo. Après la lecture de ses deux romans publiés aux éds de la Table Ronde, je perçois une problématique commune (la quête identitaire), des thématiques importantes (notamment l'importance que les personnages accordent à certains lieux) et une langue qui allie puissance et subtilité.

Monastère est un récit mordant, délicat et sensuel à la teneur autobiographique importante et à la musicalité singulière. C'est un très beau roman sur l'identité et le souvenir grâce auquel Halfon réussit le tour de force de faire un récit familial fondé sur une double errance -physique et spirituelle-, un double mouvement -partir/rester- et un questionnement existentiel : ce qui nourrit notre rapport à une terre -celle de nos ancêtres, celle où l'on grandit, celle où l'on se sent bien. L'auteur dissèque avec justesse et détermination les meurtrissures de son personnage. Et la fin "ouverte" du récit contribue à renforcer son caractère métaphysique mais aussi musical. 

En bref, comme dans La Pirouette, les mots virevoltent, se font écho et se dérobent pour nous offrir de très beaux passages sur les origines, sur les déambulations et les doutes de son personnage... Si vous ne connaissez pas encore Eduardo Halfon, je vous le recommande chaleureusement.


L'auteur :
Ecrivain guatémaltèque né en 1971, Eduardo Halfon est une des plumes les plus prometteuses d'Amérique latine. La Pirouette a reçu le fameux prix espagnol José Maria de Pereda. En 2007 il est nommé parmi les 40 meilleurs jeunes auteurs sud-américains au Hay Festival de Bogota. En 2012 Halfon reçoit la bourse Guggenheim. Il vit actuellement aux Etats-Unis. Monastère est son deuxième titre paru aux éds de La Table Ronde.

Et plus si affinités :
Découvrir le magnifique La Pirouette.


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