vendredi 4 octobre 2013

Sauf les fleurs

pour le bruit des livres
Nicolas Clément, Sauf les fleurs, éds Buchet-Chastel (coll° Qui Vive)

Mon coup de coeur :
Sauf les fleurs est le récit cruel et désenchanté que fait Marthe de sa vie. Ce récit, elle l'adresse à son petit frère adoré Léonce. Elle y raconte son quotidien dans une ferme isolée, auprès d'une mère aimante, d'un petit frère protecteur et d'un père véritable ogre destructeur dont les coups de sang et les coups de poings rythment la vie domestique. " Parler de Papa qui fauche notre enfance, fouette nos lèvres (...) et revient nos moucher dans nos vies."
Elle a 12 ans lorsqu'elle commence à prendre la parole. Elle tente alors de mettre des mots sur sa souffrance et espère désespérément que verbaliser son quotidien puisse l'aider à le supporter voire à le transcender. Puis elle a 14 ans, elle continue de se construire avec cette boule au ventre mais aussi avec l'espoir de quitter cet enfer et une folle obsession de grandir. Quotidiennement Marthe traque ces petits signes qui prouvent son existence et celle de sa famille -même si elle est dysfonctionnelle et ne ressemble pas aux autres, même si les autres restent indifférents à leur souffrance- bien que ces mêmes signes disparaissent inéluctablement: " Au village, ils croient que nous travaillons tristement, que l'odeur nous punit ou que les sabots nous cabossent. Ils se trompent, les bêtes nous sauvent. Notre famille a fondu depuis longtemps, mais elle existe encore en lettres, sur l'étiquette du journal, le relevé des compteurs. Depuis des lustre, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets (....) à la langue de Papa n'existe qu'à la ferme, hélas. Il nous conjugue et nous accorde comme il veut. Il est notre langue étrangère, un mot, un poing, puis retour à la ligne jusqu'à la prochaine claque."
Ecrire c'est garder en vie et en mémoire les liens qui la lient aux autres et à la réalité. Sa vie est sordide, les adultes se désinvestissent de ses souffrances, les enfants de son âge se moquent d'elle et pourtant elle a la force de trouver refuge dans la narration (même si elle peut compter sur la présence silencieuse et chaleureuse de ses animaux ou celle indéfectible de Léonce et de Myriam). Les mots qu'elle écrit et ceux qu'elle lit -en particulier ceux d'Eschyle- sont une véritable "échelle" pour accéder à un ailleurs et envisager à un bonheur à venir.
A 16 ans celui-ci arrive enfin et s'incarne en la personne de Florent, un jeune homme plein de rêves et d'audace auprès duquel elle découvre l'amour et avec lequel elle construit sa vie à Baltimore où elle poursuit des études de grec. C'est à ses côtés qu'elle trouve "ce qu' (elle) cherchai(t) sans pouvoir l'obtenir : un temps qui (lui) appartient, une terre natale enfuie sans (ses) sarments de petite fille, une passion qui bat sans (la) priver, plus sûre que le sang capricieux qui (l)' arrose, plus calme que la brûlure des familles." Mais loin de sa mère, de Léonce et de Myriam... Marthe a alors 18ans et le drame tant redouté se produit devant ses yeux, chez elle à la ferme. Inéluctable. Sa vie vole en éclats laissant pourtant intact l'amour qu'elle porte pour les deux hommes de sa vie Florent et Léonce. Marthe se sacrifie pour pouvoir enfin dire ce qu'elle a tant tu et pour être enfin entendue : "Nous étions une famille de deux enfants, plus les parents. Je m'appelais Marthe, mon frère s'appelait Léonce, né un mensonge après moi. Nous habitions une ferme éloignée du village (...) Aujourd'hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus."
A l'instar de sa vie, parfois les contes se terminent mal : "Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes. Je voulais un père avec une voix pour m'interdire de faire des grimaces à table. Je voulais un chien avec une passé de chat pour ne pas oublier qui j'étais (...) Je n'ai pas eu tout ce que je voulais mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d'avant. Je tombe rond; mon compte est bon."
Il est des drames qui se jouent loin de tout et qui ne se disent pas. Pas celui de Marthe qui ose tout dévoiler et rendre public ce que d'autres auraient aimé taire et ignorer. Tel le petit poucet, elle laisse derrière elle les traces de son passage. En tant que lecteur, on est alors partagé entre le sentiment d'admiration (pour l'originalité du phrasé) et d'effroi (pour le propos tenu).

Sauf les fleurs c'est 75 pages de littérature fascinante et poignante, 75 pages d'une tragédie familiale, d'un Fatum qui pèse sur les frêles épaules de la petite Marthe, personnage principal d'un conte cruel dont elle est ni la princesse ni l'orpheline. Ce roman est moins un texte sur la résilience que le double récit d'une tentative pour reconquérir sa vie par la parole et d'une vengeance tout simplement humaine. Nicolas Clément a indéniablement du style avec un art singulier de la formule. Car au-delà des drames successifs perce une écriture incroyablement mélodieuse et audacieuse. Voici un incroyable premier roman, une révélation à ne pas manquer !


Saturne dévorant un de ses fils, Franscico de Goya

L'auteur :
Né en 1970, Nicolas Clément est agrégé de philosophie. Il enseigne en lycée et en classes préparatoires.

Plus si affinités :
La lecture de ce roman me fait penser au magnifique film de Sandrine Veysset Y' aura t-il de la neige à noël ? qui raconte le quotidien d'une mère débordante d'amour qui élève ses 7 enfants ( au sein de la ferme familial ) malgré la présence néfaste de son mari violent et volage. Comme dans Sauf les fleurs, nous avons ici une audacieuse et belle adaptation des codes propres aux contes (il y a autant d'enfants qu'il y a de nains auprès de Blanche Neige, le père qui nous apparaît tel un ogre qui -comme le père de Marthe- se nourrit non de la chair de ses enfants mais de leur peur, la mère tient à la fois à la bonne fée et à Cendrillon).



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