jeudi 19 septembre 2013

La Lettre à Helga

le bruit des livres

Bergsveinn Birgisson, La lettre à Helga, éds Zulma

Ma chronique :
Alors qu'il s'apprête à quitter sa maison de retraite, Bjarni -qui fut jadis un important éleveur de brebis et le contrôleur des réserves de fourrage de son canton- compose une longue lettre enflammée à celle qu'il a aimée et qui fut brièvement sa maîtresse Helga. Mais nous saisissons immédiatement que cette lettre il l'adresse également à lui-même. Rien n'échappe au regard rétrospectif de cet homme qui a préféré dépérir auprès de sa femme malade et stérile -depuis une opération qui a mal tournée- et sur ses terres plutôt que de vivre son amour ailleurs en ville auprès d'Helga et de leur enfant. Coincé entre deux vies et deux femmes, il a choisi le statu quo, non sans regret. Le constat qu'il fait est sans concession ni pudeur. Il y raconte une vie faite de souffrances, de renoncements et de frustrations.
Aux longues phrases enchanteresses -grâce auxquelles le narrateur nous fait part de ses sentiments et de son quotidien- succèdent des propos fleuris sur sa passion pour sa plantureuse voisine et sur ses fantasmes. Nous avons alors droit à des descriptions crus du corps tentateur de cette dernière ou encore de leurs ébats amoureux. Quelque soit le registre employé ou le thème abordé tout est d'une incroyable justesse. Nous assistons alors impuissants mais compatissants au calvaire que vit quotidiennement Bjarni, qui arrive même ingénieusement à nous faire accepter et partager la décision qui va bouleverser sa vie..

La Lettre à Helga c'est tout à la fois une confidence poétique, sensuelle et sans fausse pudeur, un chant d'amour ardent et une ode à l'Islande, ses paysages, son climat, ses us-et-coutumes et son monde rural. Voici un beau livre -qualificatif valable autant pour le contenant que pour le contenu- qui fédère et charme déjà une importante communauté de lecteurs. J'ai apprécié la manière dont le narrateur ravive -en une petite centaine de pages- son univers intime et professionnel, son tempérament à la fois hédoniste et rigoureux, la richesse de son registre lexical (il est capable de passer de la poésie la plus subtile à une langage étonnamment cru) et la nature de son propos qui, sous couvert de confession, propose une réflexion sur les liens que les islandais tissent avec leur terre, leur culture et leurs ancêtres. Seul (petit) bémol : c'est que ne j'ai pu le lire sans penser à Ethan Frome d'Edith Wharton (voir ma rubrique "Et plus si affinités"). Bien que ce soit loin d'être un défaut cela a été perturbant et m'a parfois empêché de pleinement me réjouir de l'histoire et des qualités littéraires de ce roman. Mais cela ne tient qu'à moi et je suis sûre que ce roman rencontrera un succès mérité en France comme cela a été le cas en Allemagne et dans les pays scandinaves.



L'auteur :
Bergsveinn Birgisson est titulaire d'une thèse de doctorat en littérature médiévale scandinave. Son roman -énorme succès en Scandinavie et en Allemagne- est inspiré des histoires que lui racontait son grand-père lui-même fermier dans le nord-ouest de l'Islande.

Et plus si affinités :
Lire Ethan Frome d'Edith Wharton (éds L'imaginaire Gallimard), roman dont l'intrigue principale est une histoire d'amour contrariée entre Frome et la radieuse cousine de son horrible femme. En une centaine de pages le narrateur retranscrit brillamment l'intensité des sentiments d'Ethan Frome, ce qui permet au lecteur de partager au plus près les tourments de cet homme.

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