vendredi 6 septembre 2013

Dans la gueule du loup

Olivier Bellamy, Dans la gueule du loup, éds Buchet-Chastel

Ma chronique :
Paris 1936, alors qu'il compose son chef d'oeuvre Pierre et le loup S. Prokofiev prépare son retour en Urss après un exil parisien en compagnie de sa femme Lina -ancienne chanteuse lyrique au caractère bien trempé- et de ses deux enfants. Il vient de réceptionner une lettre officielle l'invitant à revenir dans son pays natal. Il y voit alors un échange de bon procédé : lui est rétabli dans son apparat de maître et l'Urss peut s'enorgueillir de comprendre et d'aider les artistes : "Ils ont besoin de moi, de ma réputation, de mon prestige pour faire croire au monde que l'Urss est la panacée de l'humanité, que le communisme crée des génies plus sûrement que le capitalisme". En plus de se gargariser de cette invitation, Prokofiev vise l'incompréhension dont font preuve les français vis-à-vis de ses oeuvres.
Quelques années plus tard en Union Soviétique, Prokofiev est retenu prisonnier et est muselé par les différents commissaires en charge des créations musicales. On lui ordonne de rendre sa musique plus accessible au peuple et de ce fait il se fait quotidiennement sermonner tandis que sa femme est retenue prisonnière dans un camp sibérien afin que le mentor puisse divorcer et se remarier sans qu'elle ait son mot à dire. Malgré son statut, comme n'importe quel musicien et compositeur, il doit avoir l'aval du parti à chaque étape de la création. Lui l'immense compositeur est traité comme un auteur lambda. "Les artistes à Moscou ont peur (...) Maïakovski s'est suicidé, d'autres sont emprisonnés ou déportés, les compositeurs sont sommés d'écrire une musique qui plaise au peuple. Vous perdez votre liberté de créateur." Au fil des pages, on découvre un artiste intransigeant, au franc parlé cinglant et à l'orgueil démesuré mais on apprend aussi ce qu'aurait pu être (nous sommes dans une fiction et non dans une biographie même romancée) la vie russe du grand compositeur qui ironie du sort va mourir dans la plus grande indifférence le même jour que Staline. Le roman est à l'image de son personnage principal : drôle et cruel.

Dans la gueule du loup est une fable politique grinçante sur les purges staliniennes (à travers le déclin d'un seul homme c'est tout un pan de l'histoire soviétique qui est ici fustigé) tout autant qu'un pamphlet contre la censure et une allégorie sur la fin de vie de Prokofiev, qui en quête de reconnaissance, s'est lui-même livré au loup. Dans ce roman, le narrateur imagine non sans humour le chemin de croix que fut la vie personnelle et artistique de Prokofiev depuis son retour au pays; le récit se consacrant alors qu'aux épisodes illustrant la désillusion vécue par Prokofiev et sa relative résignation face aux décisions politiques qui le brident. L'ensemble constitue un livre qui se laisse très agréablement lire et qui donne envie de replonger dans son vieil album de Pierre et le loup afin de l'écouter en boucle. Une bonne surprise de cette rentrée littéraire.



L'auteur :
Né en 1961, Olivier Bellamy est journaliste et animateur sur Radio Classique d'une émission appelé "passion classique" au cours de laquelle des personnalités témoignent de leur amour pour la musique classique. A côté de cela, il est le directeur artistique du festival de musique classique de Ramatuelle et auteurs d'essais sur la musique. Dans la gueule du loup est sa première fiction.

Et plus si affinités :
Retourner en enfance et écouter Pierre et le loup dans sa version Walt Disney bien évidemment !


 (vidéo mise en ligne par La Nina Cactus):

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