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lundi 2 septembre 2013

Ailleurs

pour le bruit des livres
Richard Russo, Ailleurs, éds La Table Ronde

Mon coup de coeur :
A la disparition de sa mère Jean, Richard (Rick) Russo ressent la nécessité de consacrer un livre à cette femme omniprésente dans sa vie et de décrypter la singulière relation qui les unissait. A la manière d'un Romain Gary dans La promesse de l'aube, il fait de ce récit un éloge tout autant qu'une biographie sans concession mais remplie d'amour. Jean est une femme remarquable au sens premier du terme. Elle élève seule son fils et a décidé de rompre avec les habitudes familiales pour obtenir un poste de secrétaire administrative dans une grande entreprise américaine aux nombreuses succursales. Au fils des pages, cette mère qui semblait forte, persévérante et intelligente  va s'avérer fragile, marginale, tyrannique et manipulatrice. Mais ce n'est que peu après son décès que sa véritable nature se révèle aux yeux de son fils. Pourquoi cette femme a-t-elle été omniprésente dans la vie de celui-ci même lorsqu'il fut en âge d'être entièrement indépendant ? Pourquoi a-t-elle toujours exigé de le suivre partout où il s'installait même si pour cela il fallait traverser tout les Etats Unis ? Qu'est-ce qui justifie en fin de compte le comportement irrationnel et excessif de cette mère ?
C'est en suivant les étapes essentielles dans la vie de Rick -son enfance dans une ville relativement pauvre du nord de New-York -Gloversville-, ses études à l'université, l'obtention de sa première chaire, son mariage et ses premières années de vie maritale, sa consécration en tant qu'écrivain...- que l'on comprend la nature profonde de leur relation en partie fondée sur une promesse d'être toujours là l'un pour l'autre. Mais c'est aussi grâce à ces moments qui ont jalonnés leur vie que Russo dévoile une facette inattendue de la personnalité de sa mère. Son désir perpétuel de vouloir des choses inconciliables -quitte à rendre fou son fils- trouve sa cause dans une maladie bien connue aujourd'hui mais qui alors n'étaient pas reconnue comme telles : les troubles obsessionnels compulsifs. Pendant toute leur vie, le comportement de cette femme passait au pire pour de la dépression ou au mieux pour de l'extravagance. Si elle semblait parfois agir comme une femme de caractère et sûre d'elle, l'excès de responsabilités (élever seul un enfant, avoir un travail noble, payer ses propres factures...), l'accumulation de déceptions et la peur de mal faire provoquaient ce que l'on avait coutume d'appeler "une maladie des nerfs" provoquant des excès irrationnel de colère et une hystérie qui la poussait alors à poser une série de questions sans pour autant attendre de réponses : "Je n'en peux plus (...) personne ne comprend ça ?", "Est-ce que je ne mérite pas d'avoir une vie ?", "Personne n'est capable de comprendre qu'il faut que ça change". Comportement qui l'a progressivement isolée des autres. Or il n'arrivait jamais rien. Sa vie n'a été qu'une suite de décisions hâtives, de pleurs, de promesses impossibles à tenir, de caprices...
Ce récit c'est aussi l'incroyable périple effectué par l'inamovible duo composé de Richard Russo et de sa mère. Un parcours qui les entraîne de New York à Phoenix en passant par bien d'autres bourgades américaines. Tout cela parce qu'elle réclamait d'être ailleurs plutôt qu'ici et ce n'est que tardivement que son fils compris qu' "ici, cela voulait dire l'endroit à l'intérieur de sa tête où les choses tournoyaient en une boucle sans fin. Là-bas, c'était l'endroit qu'elle essayait d'atteindre en permanence, où elle serait heureuse".
Ailleurs s'impose à nous à la fois par la présence (et même l'omniprésence) de Jean, cette femme insaisissable, toujours sur la brèche, à la fois forte et vulnérable mais aussi par la voix de son fils -toujours présent à ses côtés- qui réussit à communiquer son infini attachement envers elle, la variété et la complexité des sentiments qui le meuvent. Vous l'aurez deviné, j'ai grandement aimé la manière qu'a eu Richard Russo de rendre palpable d'une part la détresse de sa mère et de l'autre sa dévotion à lui tout autant que ses limites morales et matérielles devant l'attitude de cette femme émotionnellement instable. L'auteur porte un regard plein de tendresse et de pudeur pour cette mère qu'il a aimé sans limite mais qu'il n'a finalement compris que trop tard.

Dans un premier temps, j'ai pensé que ce livre faisait simultanément le tableau d'un amour exclusif et excluant entre une mère et son fils unique tout autant que le portrait de cette mère célibataire farouchement attachée à son indépendance (bien que celle-ci soit précaire et dépende du bon vouloir et surtout de l'indulgence de ses proches). En fait, c'est bien plus que cela. Ailleurs c'est tout à la fois le récit d'une révélation, une demande de pardon et le tableau de la société américaine de 1930 à nos jours et le portrait de ces américains nés ou ayant grandi pendant le Dépression.. Ce roman sensible et juste est judicieusement rythmé par les moments de joie, de tendresse mais aussi de honte et de détresse, sans indécence ni pesanteur. Enfin, Ailleurs est aussi un vibrant hommage d'un fils devenu écrivain grâce à la présence et à la volonté d'une seule femme - "Grâce à ma mère j'ai appris que lire n'était pas un devoir mais une récompense".

J'ai aimé lire ce roman sensible et intelligent et qui m'a donné envie de connaître davantage l'oeuvre romanesque de Richard Russo.


L'auteur :
Ecrivain américain né en 1949, Richard Russo est docteur es philosophie et à obtenu par la suite un Master of Fine Art. Avant de se consacrer à son métier d'écrivain et de scénariste, il occupait la fonction de professeur de littérature (métier qu'il évoque dans ce roman). 
Russo a obtenu le Prix Pulitzer pour Le déclin de l"empire Wainting, on lui doit également Le pont des soupirs et Les sortilèges de Cap Cod tous publiés par les éditions de La Table Ronde.

Et plus si affinité :
Lire le billet d'une blogueuse grande admiratrice de Richard Russo sur son blog cunéipage.

2 commentaires :

  1. belle analyse du rapport mère-fils, ça me donne bien envie d'y aller voir de plus près, mais l'article déjà est très éclairant! ah! bon anniversaire au fait;)

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