lundi 29 juillet 2013

C'est lundi, que lisez-vous ? (9)


C'est lundi, que lisez-vous ?

Ce rendez-vous hebdomadaire a été inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane. J'espère grâce à votre contribution pouvoir faire de cette page un rendez-vous convivial.

Comme chaque lundi je répondrai aux trois questions suivantes :
  1. Qu'ai-je lu la semaine précédente ?
  2. Que suis-je en train de lire ?
  3. Que vais-je lire ensuite ?
J'ai été très ambitieuse la semaine dernière en annonçant pouvoir lire deux romans  : Les évaporés de Thomas B. Reverdy (éds Flammarion) et Ailleurs de Richard Russo (éds La Table Ronde) en plus de  la pièce de théâtre Mein Kampf (farce) de l'écrivain juif hongrois George Tabori. J'ai donc bien lu cette dernière mais je n'ai terminé aucun des deux romans qui pourtant sont deux récits vraiment très plaisants à lire (avec quand même une préférence pour l'un des deux...).
Gros coup de fatigue les jours passés mais pour cette semaine c'est tout vu je termine ces deux livres et je poursuis avec un des titres de cette rentrée. 
Il me reste une vingtaine de jours avant de publier mes premières impressions et mes premiers coups de coeurs et j'aimerais les mettre à profit pour lire le plus grand nombre de romans figurant parmi la sélection ci-jointe : L'invention de nos vies de Karine Tuil (eds Grasset),  Le quatrième mur de Sorj Chalandon (idem), L'Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza (éds Attila/Le Tripode), La femme a 1000° de Hallgrimur Helgason (éds Presses de la cité), Il faut beaucoup aimer les hommes de Marie Darrieussecq (éds POL), La cravate de Milena Michiko Flasar (éds de l'Olivier), Et quelquefois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey (éds Toussaint Louverture). Gros challenge, d'autant plus qu'il y a dans cette liste quelques pavés ...
Comme je n'ai toujours pas reçu Mon prochain de Gaëlle Obiégly,  Pietra Viva de Léonor de Récondo et Compagnie K de William March, j'ai dû les retirer de la liste des livres à lire rapidement (cf le précédent "c'est lundi, que lisez-vous?"). D'un autre côté, le temps n'est pas extensible à volonté et c'est une raison comme une autre de faire une sélection !
Je vous laisse maintenant la parole.

mercredi 24 juillet 2013

Hongrie-Hollywood Express


Eric Plamondon, Hongrie-Hollywood Express, éds Phébus

Mon coup de coeur :
Voici un livre audacieusement décousu qui entremêle deux récits de vie, celle de l'icône Johnny Weissmuller à celle du narrateur Gabriel Rivages et grâce auquel le lecteur traverse différentes périodes du XXème siècle et deux continents (l'Europe représentée par la Hongrie et la France, l'Amérique et plus précisément les Etats-Unis).
A-priori l'intrigue est plutôt simple, le narrateur fait un parallèle malicieux entre sa vie de "touche à tout" et d'insatiable curieux  et celle d'un enfant prénommé Janos qui a vu le jour dans un pays d'Europe centrale et qui est devenu aux Etats-Unis le grand Johnny Weissmuller multiple champion olympique, premier nageur à effectuer le 100m nage libre en moins d'une minute, célèbre mannequin pour une marque de maillots de bain et le premier Tarzan du cinéma parlant. Le roman consacre d'ailleurs avec beaucoup d'humour un chapitre aux nombreux avantages à être premier de sa catégorie. Et Weissmuller a été premier dans de nombreux domaines !
Mais l'intérêt de ce livre tient dans sa construction ou plutôt sa déconstruction. Par sauts de puce, le narrateur nous balade d'une vie à l'autre, nous fait voyager dans le temps et l'espace sans se soucier de la chronologie des faits et de la complétude de l'énoncé. Ce qui compte ce ne sont pas les liens logiques mais ce qui se cache derrière les apparences. Ces instantanés sont autant de révélateurs qui permettent au narrateur de faire de ces portraits kaléidoscopiques un ensemble dynamique et complet autour de deux êtres en perdition. Johnny et Gabriel vivent en effet la même désillusion et le même questionnement existentiel : Comment accéder durablement au bonheur ? Car le véritable sujet de ce livre c'est l'ascension puis la ruine de ces deux hommes, c'est de parler de leur potentialité et des opportunités qu'ils n'ont pas su exploiter et saisir, c'est de savoir comment refaire sa vie lorsque la première arrive à son terme. Chacun des deux parcours éclaire alors l'autre, le narrateur étant là pour traquer ces détails infimes et ces correspondances sécrètes qui révèlent un destin et un caractère, pour établir ou suggérer la trame entre les différents fragments composant ce livre et pour finalement donner du sens à l'ensemble.
Premier volet d'une trilogie ayant pour ambition de raconter la vie chaotique voire fracassée de quelques figures américaines qui ont participé aux grands mythes made in USA, Hongrie-Hollywood Express emprûnte sa composition et son nom au Tokyo-Montana Express de Richard Braudigan, auteur fétiche de Gabriel Rivages et d'Eric Plamondon. Ainsi ce roman tout en discontinuité, fait de silence, de ruptures et de reprises se focalise sur la vie de Johnny Weissmuller, sur son rêve américain mais aussi sur sa déchéance une fois la gloire passée, les mariages et les divorces accumulés et l'argent envolé. Si sa chute est la conséquence d'un enchaînement implacable, la gloire de Johnny Weissmuller est fondée tantôt sur des calculs réfléchis comme le prouvent les nombreux mensonges et omissions qui ont ponctué sa vie : ceux concernant ses origines et son identité ou encore le silence fait autour de sa vie privée... tantôt sur des événements qu'il ne pouvait maîtriser : une maladie (une poliomyélite) qu'il fallait soigner grâce à la natation, une terre propice à cela (les environs du lac Michigan), le hasard des rencontres, un accident qui abîmera à jamais les cordes vocales de ce futur Tarzan rendant sa voix suraiguë...

Il y a tellement d'éléments captivants dans ce roman qu'il m'est difficile d'en isoler un en particulier. Certes il y a les deux personnages atypiques au parcours improbable et à l'incroyable personnalité. Gabriel Rivages est un jeune homme talentueux mais incapable de se fixer quelque part ou de se consacrer à une tâche en particulier. Quant à Johnny Weissmuller, il est l'incarnation de ce rêve américain dans ce qu'il y a de plus beau lorsqu'il réussit à devenir un héros national par deux fois ! (en sport et au cinéma) mais aussi de plus tragique quand il devient un "guignol" seulement bon pour promouvoir des marques en mal de notoriété. Les coups du sort qui ont rythmé sa vie lui ont tantôt permis d'atteindre le firmament tantôt fait tomber de son piédestal. La vie de Weissmuller est l'illustration parfaite de la loi de Newton : tout ce qui s'élève doit retomber !

De façon générale, j'aime les récits non linéaire dont la construction -faussement aléatoire- donne l'impression au lecteur de passer d'un fragment à l'autre comme du coq à l'âne alors qu'en fait la composition est brillamment réfléchie et exécutée, mais ici s'ajoute d'autres éléments comme l'érudition sans prétention de son auteur, son art du raccourci et de l'énumération, le caractère trompeur, espiègle, audacieux, dynamique du récit ou encore les jeux de mots et les sentences qui ponctuent les chapitres. Tout comme j'ai aussi aimé l'incursion de poèmes, de statistiques, de littérature, de l'album Rouge des Beatles, de physique, de faits divers ou de remarques purement biographiques et pour certaines anecdotiques dans cet ensemble littéraire. Même ce qui est a-priori hors sujet trouve sa place  grâce à la plume de Plamondon. 

J'ai véritablement dévoré ce roman car il y a une vraie dépendance à passer d'un lieu, d'un personnage, d'une époque, d'un genre à l'autre sans avertissement préalable, en d'autres termes  à se laisser surprendre.  J'aime ce genre de fictions parce qu'elles s'amusent avec leurs lecteurs leur réclamant tantôt d'être actifs et de reconstituer les morceaux du puzzle narratif tantôt de se laisser porter voire cueillir par la narration. Et Hongrie-Hollywood Express c'est exactement cela ! Enfin j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce livre car il a été une véritable bulle d'oxygène en cette période de lectures "rentrée littéraire". Dès le premier chapitre j'ai fait le grand plongeon dans cet univers si personnel, si bigarré et si déroutant jusqu'à ne plus pouvoir me détacher de ce livre tant il est réjouissant, plein de malice sans être prétentieux, drôle sans être superficiel, intelligent sans être rebarbatif, iconoclaste sans être inapproprié. Ce roman a comblé ma curiosité. Désormais je suis impatiente de pouvoir lire les deux prochains opus, l'un consacré à Richard Brautigan (mort en 1984 comme Johnny Weissmuller) et dont le titre est Mayonnaise (??!!), l'autre nommé PommeS consacré à Steve Jobs (pour qui l'année 1984 marquera le début de son ascension avec le lancement du premier Macintosh d'Apple). 

Dans un de mes précédents commentaires j'avais parlé de mes coups de coeur 2013. Il faudra dès à présent rajouter à cette liste Hongrie-Hollywood Express.


L'auteur :
Né au Canada en 1969, Eric Plamondon a été pompiste, bibliothécaire, barmaid, il a même enseigné le français à l'université de Toronto... Il a étudié les sciences, l'économie, le journalisme. Il a quitté son Québec natal pour la France et vit désormais à Bordeaux où il travaille dans la communication.
Ses romans ont rencontré un succès populaire et d'estime au Québec et j'espère pour Hongrie-Hollywood Express le même sort.

Et plus si affinités :
Voici une présentation faite au Canada de ce roman qui fut finaliste du Prix des libraires du Québec avec en prime la lecture du chapitre concernant la manière si particulière qu'avait Weissmuller de nager le crowl :

(vidéo youtube mise en ligne par Simon Paradis)

Et toujours plus :
L'entretien réalisé avec Eric Plamondon par la librairie Mollat :

(mise en ligne par LibrairieMollat)





lundi 22 juillet 2013

C'est lundi, que lisez-vous ? (8)


C'est lundi, que lisez-vous ?

Ce rendez-vous hebdomadaire a été inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane. J'espère grâce à votre contribution pouvoir faire de cette page un rendez-vous convivial.

Comme chaque lundi je répondrai aux trois questions suivantes :
  1. Qu'ai-je lu la semaine précédente ?
  2. Que suis-je en train de lire ?
  3. Que vais-je lire ensuite ?
Pas de rentrée littéraire la semaine passée. J'ai abandonné Une Sainte d'Emilie de Turckheim (éds Héloïse d'Ormesson). Pourtant je trouve le début très prometteur mais j'avais besoin de lire des livres qui font l'actualité et dont je peux parler immédiatement si besoin est. J'ai donc poursuivi ma lecture de Niourk de Stefan Wul (éds Castelmore) et j'ai dévoré le roman d'Eric Plamondon Hongrie-Hollywood Express (éds Phébus) dont j'éditerai d'ici peu (mardi ?) le coup de coeur (immense). Enfin, je viens à peine de commencer la pièce de George Tabori dont je vous parlais la semaine dernière Mein Kampf (farce)
Cette semaine je termine donc cette dernière et je poursuis mes lectures "rentrée littéraire". J'ai maintenant une idée plus précise des livres que j'ai envie de lire d'ici la fin du mois d'août. Les voici (cités dans un ordre totalement aléatoire) : L'invention de nos vies de Karine Tuil (eds Grasset),  Le quatrième mur de Sorj Chalandon (idem), L'Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza (éds Attila), La femme a 1000° de Hallgrimur Helgason (éds Presses de la cité), Ailleurs de Richard Russo (éds Table Ronde), Il faut beaucoup aimer les hommes de Marie Darrieussecq (éds POL), Les évaporés de Thomas B. Reverdy (éds Flammarion), La cravate de Milena Michiko Flasar (éds de l'Olivier), Pietra Viva de Léonor de Récondo (éds Sabine Wespieser), Mon prochain de Gaëlle Obiégly (éds Verticales), Compagnie K de William March (éds Gallmeister), Et quelquefois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey (éds Toussaint Louverture).  Je pense entamer cette liste par le roman de Thomas B. Reverdy, Les évaporés et la poursuivre avec Ailleurs de Richard Russo.
J'ai quelque peu modifié la liste des "livres à lire" publiée précédemment sur la page Petite sélection autour de la rentrée littéraire 2013. N'apparaissent plus des auteurs comme Louise Erdrich, Sylvie Germain, Véronique Ovaldé ou Richard Ford. Non pas que je n'ai plus envie de les lire mais  je remets ces lectures à plus tard, certainement après leur date de parution.
Bonne semaine à tous et bonnes lectures !

vendredi 19 juillet 2013

Ecoute la pluie

Michèle Lesbre, Ecoute la pluie, éds Sabine Wespieser

Mon coup de coeur :
Une femme, s'apprêtant à prendre le train afin de retrouver son amant de longue date, assiste à un tragique fait divers. Sur le quai, ce jour là, un homme lui sourit avant de se jeter sur les rails "comme un enfant, avec la même légèreté". Soudain sa vie bascule. Alors qu'elle devait rejoindre son amoureux dans "leur" chambre avec vue à l'hôtel des Embruns -une chambre témoin de leur passion et de leurs nombreuses retrouvailles- elle se retrouve dans l'impossibilité de prendre le train et préfère réfléchir à ce qui jusqu'à présent a donné sens à son existence. Immédiatement après ce drame, incapable de contenir ses émotions, elle quitte précipitamment la gare pour s'enfuir à travers les rues de la Capitale. Au fil de ses déambulations, sous une pluie battante, son esprit se met à ressasser le passé : la mort de son père tant aimé, ses amours chaotiques, ses déceptions politiques et personnelles, ses différents compagnonnages avec des lieux, ses diverses rencontres dont celle avec son amant photographe qui n'entend rien aux mots mais aussi son impossibilité à vivre durablement avec lui à Nantes... Tous les moments décisifs ou a-priori anodins de sa vie prennent à ce moment une autre valeur. Seule dans les rues parisiennes, l'allure avec laquelle elle se déplace rythme le flot de ses pensées et réciproquement. Finalement ce roman évoque une double errance physique et mentale dont la conclusion est sans appel : désormais il lui sera impossible de vivre de compromis et de faux-semblants. Et au lever du jour, alors que la pluie continue son oeuvre, elle se met à espérer et invite son amant à écouter la pluie c'est à dire l'éphémère, la magie de l'instant qui ne déçoit jamais. Après il saura qui elle est réellement.

En une centaine de pages, nous assistons à une déambulation existentielle. Les doutes de notre interlocutrice quant à son avenir sentimental et son incapacité à se contenter de ce qu'elle a s'amplifient au fil des pages. Ce saut dans le vide dans une gare où chacun s'affairait, notre narratrice le vit comme une vraie déflagration. Désormais rien n'est évident. Comment donner un sens à sa vie lorsque l'on est un témoin impuissant de la mort d'un individu ? Fragilisée, elle porte toutefois un regard aiguisé sur elle-même mais aussi sur notre société indifférente à son trouble et plus généralement au malheur des autres.

Ecoute la pluie est une longue confidence, une lettre ouverte faite de pudeur et de tourments, dense et poétique à la fois, qui rend admirablement bien le trouble de notre narratrice. Un roman que j'ai lu d'une traite et une lecture dont j'aime me souvenir.


L'auteur :
Michèle Lesbre vit à Paris. Elle a commencé à écrire des livres il y a une quinzaine d'années après avoir fait du théâtre dans des troupes régionales et enseigné. Sont parus chez Sabine Wespieser les titres suivants : Un lac immense et blanc, Sur le sable, Le canapé rouge (finaliste du prix Goncourt et lauréat du Prix Pierre Mac-Orlan et du Prix Millepage 2007), La Petite trotteuse (2005), Un certain Felloni (2004) et Boléro (2003). Elle est aussi l'auteur de ces livres : Victor Dojlida, une vie dans l'ombre (Noésis 2001, Sabine Wespieser 2013),  Que la nuit demeure (Actes Sud 1999), Une simple chute (Actes Sud 1997), Un homme assis (Manya 2000) et La Belle nuit (Le Rocher 1991).

Et plus si affinités :
La lecture d' Ecoute la pluie m'a immédiatement rappelé ce film que j'ai vu il y a fort longtemps : Cléo de 5 à 7 réalisé par Agnès Varda (1962) avec Corinne Marchand dans le rôle principal. L'histoire se déroule à Paris et est filmée en "temps continu ou réel" sur pratiquement deux heures. Cléo est une jeune et très séduisante chanteuse de nature plutôt insouciante. Mais le cours de sa journée va mettre à mal sa frivolité. En effet Cléo est perturbée par une mauvaise nouvelle : elle se croit atteinte d'un cancer et attend fébrilement les résultats de ses examens. Il est 17h et elle doit récupérer ses analyses à 19h. Durant deux heures, pour tromper sa peur, elle essaie vainement de recueillir le soutien de ses proches. Malheureusement, elle se heurte inéluctablement à leur incrédulité ou pire à leur indifférence. Par la force des choses, Cléo mesure la futilité de son existence. Finalement, elle trouvera du réconfort auprès d'un militaire rencontré fortuitement au cours de ses déambulations parisiennes. De 5 à 7 h, de la rue Rivoli à Montparnasse, Cléo a vécu une journée éprouvante et finalement salvatrice. Tout comme Michèle Lesbre, Agnès Varda a su rendre non seulement les angoisses de son personnage avec finesse et justesse mais aussi la cruelle indifférence du monde extérieur qui continue de s'agiter malgré la peine de nos deux héroïnes. Pour en savoir davantage, n'hésitez pas à découvrir ici le blog d'un cinéphile (doctorbcinema).
(vidéo mise sur youtube par MultiLivio)

Et toujours plus : 
Dans la catégorie "femme désespérée déambulant dans les rues d'une grande ville", il y a le magnifique mais tragique Sue perdue dans Manhattan du réalisateur Omos Kollek.
Sue est une provinciale vivant seule à New York sans famille ni ami. Elle vient de perdre son travail et a dû faire hospitaliser sa mère atteint d'Alzheimer. Jeune femme totalement déboussolée, ultra sexy et au physique incroyable, elle arpente les rues sans but précis avant de s'en remettre au hasard pour oublier sa solitude et son mal être. Elle y fera bien entendu d'improbables rencontres.
J'ai trouvé ce film époustouflant de finesse et de pertinence dans sa manière de peindre le portrait de cette femme complexe et de révéler l'indifférence généralisée qui déferle dans cette mégalopole dans laquelle les gens se croisent voire se fréquentent sans réellement s'écouter ou se soucier les uns des autres. Je vous encourage à voir ce film fort, étonnamment féroce, au casting irréprochable avec notamment l'incroyable Anna Thomson véritable poupée de porcelaine prête à se casser au moindre choc. Et pour en savoir plus, c'est ici que ça se passe grâce aux Inrocks.

mercredi 17 juillet 2013

Home

Toni Morrison, Home, éds Christian Bourgois

Mon coup de coeur :
Home plonge d'emblée son lectorat dans l'Amérique des années 50 alors que la ségrégation (l'application des Lois "Jim Crow") est toujours en vigueur. Nous y suivons le personnage de Franck Money, vétéran de la guerre de Corée de retour chez lui complètement fracassé et en proie à des crises de démence mais motivé par un objectif bien défini : celui de retrouver et de sauver sa soeur Cee victime d'un "docteur Mengele" déterminé à mettre en application les théories eugénistes et qui a fait de son corps de femme noire le terrain d'expérimentations hasardeuses et dangereuses. Pour cela Franck doit non seulement quitter Lilly cette femme si volontaire qui l'aime mais aussi traverser tout le pays de Seattle à Atlanta puis Lotus -cette ville qu'il hait, "le pire endroit du monde "selon lui mais qu'il ne peut plus fuir. Ce voyage, il arrive à l'organiser grâce à un réseau d'entre-aide communautaire (composé notamment d'une amicale de femmes noires et d'un révérend) car même lorsque l'on est un médaillé de guerre voyager quand on est noir n'est pas chose aisée : les places dans les wagons réservés se font rares, la faim fragilise les corps et l'argent manque cruellement. Comme le souligne le révérend " Une armée où les Noirs ont été intégrés, c'est le malheur intégré. Vous allez tous au combat, vous rentrez, on vous traite comme des chiens. Enfin presque. Les chiens, on les traite mieux".
Dès les premières lignes du récit, Franck nous apparaît comme un homme doublement traumatisé par une enfance misérable et violente et par l'absurdité de la guerre. Hanté par son passé, par des sons et des images qui resurgissent malgré lui, il effectue cette traversée dans le but (inconscient) de regagner conjointement une identité et une dignité mais aussi de solder définitivement un passé misérable dont il est involontairement le garant depuis qu'il a assisté impuissant à la mise à mort d'un grand-père noir qui refusait de quitter ses terres texanes alors que lui-même n'était qu'un enfant apeuré ne réalisant pas vraiment ce qui se déroulait sous ses yeux. Plus il se rapproche de son objectif et plus il en apprend sur lui-même et sur les hommes.
Toni Morrison n'hésite pas à utiliser les ressorts du conte et de la mythologie pour rendre cette odyssée encore plus prégnante. Elle fait de Franck et Cee des Hansel et Gretel mais aussi des petits poucets modernes dont l'histoire commence et se termine par la même scène terrifiante et qui sèment leurs petits cailloux à travers les Etats-Unis afin de mieux se retrouver et ainsi regagner leur demeure familiale ensemble. La narration, qui alterne alors passé et présent, rend compte de cette Amérique "White Only" mais elle permet surtout de "boucler la boucle". Le souvenir de la mise à mort du vieillard est la cause de tout le malheur familial avant de devenir la promesse d'un possible bonheur. Car c'est petit à petit, fragment par fragment que Franck retrouve la mémoire sans laquelle il ne pouvait être serein. La scène énigmatique qui inaugure le récit trouve finalement sa justification à la fin de celui-ci éclairant du même coup le désemparement de nos personnages centraux.
Si autour de Franck gravitent de sombres personnages comme la tante qui les a élevé sans amour ni bienveillance ou le médecin qui "emploie" Cee, il y a aussi de beaux personnages comme Lilly cette compagne digne et fidèle qui se bat quotidiennement pour conquérir les droits dont jouissent les blancs (je regrette d'ailleurs le peu de place /de pages qu'elle occupe dans le livre).

Au-delà de la tragédie narrée, Home est un formidable roman sur la rédemption et sur la capacité d'un homme à aller au-delà de ses limites afin de sauver un proche. Mais c'est surtout le récit d'une reconquête : celle de ses racines, de sa mémoire, de son humanité et de sa terre.

Malgré l'exigence réclamée par la narration, la tension dramatique finement ficelée et l'aspect incroyablement visuel et même parfois poétique du récit, celui-ci n'a rien d'intimidant. Au contraire, je regrette presque qu'il n'est pas été plus étoffé tant il m'a captivée. Home entrecroise des histoires bouleversantes, des destins maltraités et des personnages touchants et l'ensemble est magnifiquement orchestré. C'est le premier roman de Toni Morrison que je lis et malgré la maigre épaisseur de ce livre (150 pages) ce texte est dense et il contient tous les thèmes qui semblent si chers à son auteur : la conditions des afro-américains, la saga familiale faite de souffrances tant physiques que morales, la maternité ou le traumatisme dû à la guerre. Au-delà de deux destins individuels, Home évoque une certaine Amérique terrifié et terrifiante qui traite les noirs comme des bêtes sauvages et qui nourrit en son sein des personnes motivées par la  peur et/ou la haine. Mais c'est aussi une Amérique capable d'évoluer grâce à des hommes comme Franck.


L'auteur :
Toni Morrison est une très grande dame des lettres non seulement américaines mais internationales. Prix Pulitzer en 1988, elle obtient en 1993 le Prix Nobel de Littérature et est encore à ce jour la seule femme noire à avoir reçu cet honneur. En plus de sa carrière d'écrivain, elle mène une carrière d'éditrice et de professeur de Littérature. Parmi ses romans les plus célèbres, il y a Beloved, Sula ou Love, love (éds Christian Bourgois). Le 29 mai 2012, elle a reçu des mains du président Obama la Presidential Medal of Freedom, la plus haute distinction civile américaine.

Et plus si affinités :
Lire Home et écouter la magnifique Billie Holliday chanter Strange Fruit :

(vidéo youtube mise en ligne par lametempsycose)
Et toujours plus :
et (re)voir Dans la chaleur de la nuit, ce film de Norman Jewison avec Sidney Poitier dont voici la bande annonce (puis si besoin est jeter un coup d'oeil sur sa présentation made in Télérama ici) :        
                               
(video mise en ligne sur Youtube par Solarisdistribution)

Et toujours toujours plus :
Voir Shadows de John Cassavetes dont voici un bref résumé :
Nous sommes à New York dans les années 50. Benny, Hugh et Lélia sont frères et sœurs issus de la communauté afro-américaine. Ils vivent modestement et partagent le même appartement. Alors que Benny passe ses journées à traîner dans les rues et les bars désireux de gagner sa vie comme trompettiste professionnel, Hugh tente pour sa part de faire carrière comme chanteur de jazz. Quant à Lélia, elle veut devenir écrivain. Tous trois veulent aussi rencontrer l'âme soeur. Le film raconte alors le chassé-croisé amoureux de ces trois personnages. Au cours d'une soirée, Lélia dont la peau est claire rencontre Tony un WASP avec lequel elle passe la nuit. Ne soupçonnant pas les origines de la jeune femme, ce dernier manifeste une gêne évidente lorsqu'elle lui présente ses frères qui ne veulent d'ailleurs pas de lui ni d'aucun blanc et le chasse sans ménagement. Je n'ai pas réussi à me procurer un extrait convenable de ce film. Mais si vous avez l'occasion de le voir, saisissez la ! En attendant voici un lien utile ici même.

lundi 15 juillet 2013

C'est lundi, que lisez-vous ? (7)


C'est lundi, que lisez-vous ?

Ce rendez-vous hebdomadaire a été inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane. J'espère grâce à votre contribution pouvoir faire de cette page un rendez-vous convivial.

Comme chaque lundi je répondrai aux trois questions suivantes :
  1. Qu'ai-je lu la semaine précédente ?
  2. Que suis-je en train de lire ?
  3. Que vais-je lire ensuite ?
Peu de lecture au cours de la semaine passée (malgré un WE de 4 jours) mais beaucoup de satisfaction. Le blog a dépassé les 5030 pages vues (nous en sommes à 5033 en ce lundi 15 juillet 9h) pour 44 publications et 48 commentaires, quant à sa page fb elle vient d'atteindre 54 mentions "j'aime" (depuis le 28 mai) et sa dernière publication a "atteint" 112 personnes en audience cumulée. Je vous en remercie grandement. Cette parenthèse étant refermée, voici les réponses aux questions posées : 
La semaine passée j'ai lu Lettres à Helga de Bergsveinn Birgisson (éds Zulma) puis Dans la gueule du loup d'Olivier Bellamy (eds Buchet Chastel). C'est deux romans (à paraître lors de la prochaine rentrée) se lisant rapidement (j'ai dévoré le second en un après-midi !), j'ai pu relire L'Etranger d'Albert Camus (éds Gallimard/folio). A part cela, j'ai aussi commencé Niouk de Stefan Wul (éds Castelmore) un "classique" de la SF jeunesse réédité tout récemment et Une Sainte d'Emilie de Turckheim (éds Héloïse d'Ormesson).
Cette semaine je poursuis la lecture des deux romans précédemment cités et j'entame celle d'une pièce de théâtre intitulée Mein Kampf (farce) (éds Actes Sud-papiers) d'un dramaturge juif hongrois George Tabori.
En revanche, je n'ai rien de vraiment arrêté en ce qui concerne mes prochaines lectures mais je me vois bien consacrer les semaines à venir à lire autre chose que de la rentrée littéraire. Peut-être vais-je reprendre Les hommes hors-jeu de Karel Poláček (eds Non Lieu) ou commencer Hongrie-Hollywood Express d'Eric Plamondon (éds Phébus). Il vous faudra attendre une semaine avant d'avoir la réponse.
En attendant, merci encore pour votre participation et pour beaucoup d'entre vous pour votre fidélité. 
Anonymes ou habitués, j'attends vos commentaire avec impatience !

lundi 8 juillet 2013

C'est lundi, que lisez-vous ? (6)


C'est lundi, que lisez-vous ?

Ce rendez-vous hebdomadaire a été inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane. J'espère grâce à votre contribution pouvoir faire de cette page un rendez-vous convivial.

Comme chaque lundi je répondrai aux trois questions suivantes
  1. Qu'ai-je lu la semaine précédente ?
  2. Que suis-je en train de lire ?
  3. Que vais-je lire ensuite ?
Bonjour à tous, j'ai terminé Kinderzimmer de Valentine Goby (éds Actes Sud) et Le garçon incassable de Seyros (éds de l'Olivier) dont je viens de publier le coup de coeur . 
Cette semaine je commence Lettres à Helga de Bergsveinn Birgisson (éds Zulma) et Niouk de Stefan Wul (éds Castelmore)
Quant à la semaine prochaine je n'ai rien de réellement fixé. Selon mon envie du moment je piocherai dans ma pile de livres à lire un ou deux des titres suivants : Ailleurs de Richard Russo , Une Sainte d'Emilie de Turckheim (éds Héloïse d'Ormesson) , Le cycliste de Tchernobyl de Javier Sebastiàn (éds Métailié) ou Les évaporés de Thomas B. Reverdy.
Je vous remercie pour votre participation de plus et plus importante au fil des semaine.
Je ne vous cache pas que j'espère que vous serez aussi prolixes que la semaine dernière et que j'ai hâte de lire vos commentaires. A bientôt.

dimanche 7 juillet 2013

Le garçon incassable

Florence Seyvos, Le garçon incassable, éds de l'Olivier

Mon coup de coeur :
Aussi beau que soit le titre de ce roman il est trompeur car ce n'est pas d'un garçon incassable dont nous parle Florence Seyvos mais deux deux garçons inadaptés au monde environnant, deux corps meurtris et soumis aux regards apitoyés, curieux ou malveillants des autres, deux êtres meurtris toujours en équilibre précaire, deux garçons élevés à la force du poignet ... celui d'un père autoritaire et brutal. Et pour qui ils ne seront à jamais que des garçons et non des hommes.
L'un se nomme Henri. Il est le demi-frère de la narratrice. Handicapé, squelettique, garçon aux membres atrophiés et au cerveau endommagé et dont l'âge mental reste indéfini, Henri réussit pourtant grâce à la volonté (voire la rage) de son père et au soutien matériel et affectif de sa famille à acquérir une certaine autonomie. Ainsi au cours des années il arrivera à prendre les transports seuls, à apprendre à lire et à écrire, à aller au cinéma, à travailler, à tenir une "pseudo" conversation en récitant par coeur des phrases balises qu'il recrache selon les situations vécues.
L'autre est mondialement connu. Il s'appelle Buster Keaton et il un acteur rare et un acrobate hors pair dans l'histoire du 7ème Art. Surnommé "l'homme qui ne rit jamais" il a contribué au succès du cinéma burlesque en jouant les jeunes hommes maladroits, en "permanente inadéquation au monde", solitaire mais dont le langage corporel dégage une force et une poésie incroyables. Auparavant il fut une "chose" de 5 ans balancée comme simple projectile à travers la scène par son père qui lui avait collé "une poignée de valise sur (son) dos" afin de gagner en efficacité et de rendre son show plus spectaculaire. A partir de cet instant l'ensemble de sa carrière sera placé sous le signe de la chute.
Le premier maîtrise son corps à la perfection en le faisant voler, rebondir, tomber... quand Henri lui tente vainement de se libérer de son handicap subissant quotidiennement des séances de rééducations douloureuses et des mises en garde implacables de la part son père aimant mais sévère. 

En mettant en miroir ces deux enfances marginales, la narratrice devient le fil conducteur de ce récit tout autant que la porte parole de ces deux êtres fragiles "enfermés dans une bulle de solitude infranchissable"et dont la vie témoigne finalement d'une singulière insoumission. Grâce à ce montage parallèle digne des premiers films hollywoodiens, le récit restitue la force morale et physique qu'il a fallu à ces deux garçons pour traverser la vie et celle des autres tout en évitant les nombreux écueils qui les attendaient. De Los Angeles à Lyon, en passant par Abidjan, Paris ou le Havre, ces deux parcours se répondent et se nourrissent l'un de l'autre sans jamais se confondre. Il n'y a pas réellement de parallèle entre ces deux destins si ce n'est un mystère autour de deux corps en souffrance et de l'incroyable capacité de résilience mentale et physique de nos deux personnages.

Au-delà du drame vécu par Henri et Buster Keaton et leurs proches, ce récit fait d'humanité et de grâce redonne une place (un corps) et une voix à ces garçons vulnérables finalement devenus à leur manière des hommes extraordinaires. Florence Seyvos parle incroyablement bien des corps en danger, maltraités, qui résistent et qui offrent pour l'un une chance de réussir dans la vie et pour l'autre un frein à tout épanouissement. Elle réussit brillamment à faire du Garçon incassable un roman d'une rare justesse et d'une incroyable beauté.  Il serait dommage de passer à côté.


L'auteur :
Née à Lyon en 1967, Florence Seyvos est écrivain et scénariste (pour Noémie Lvovski, La vie ne me fait pas peur ou Camille redouble). Son roman Les apparitions (éds L'Olivier, 1995) lui a valu le Goncourt du premier roman et le Prix France Télévision.

Et plus si affinités :
Pour les amateurs ou les simples curieux, voici un florilège des performances les plus spectaculaires de Buster Keaton :

(vidéo mise en ligne sur youtube par Polyp3)

Et toujours plus :
Personnellement j'ai un faible pour La maison démontable (One Week) dont voici un large extrait :
En guise de cadeau de mariage, Keaton reçoit une dizaine de caisses contenant une maison préfabriquée qu'il essaie tant bien que mal à monter.

(vidéo mise sur youtube par gzegzol)

lundi 1 juillet 2013

C'est lundi, que lisez-vous ? (5)

C'est lundi, que lisez-vous ?

Ce rendez-vous hebdomadaire a été inspiré par les It's  Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane. J'espère grâce à votre contribution pouvoir faire de cette page un rendez-vous convivial.

Comme chaque lundi je répondrai aux trois questions suivantes

  1. Qu'ai-je lu la semaine précédente ?
  2. Que suis-je en train de lire ?
  3. Que vais-je lire ensuite ?
Bonjour, la semaine passée j'ai lu successivement L'envol du héron de Katherina Hagena (éds Anne Carrière), Je ne retrouve personne d'Arnaud Cathrine (éds Verticales) et je viens de débuter Kinderzimmer de Valentine Goby (éds Actes Sud).
Je prévois pour cette semaine de terminer ce dernier et de faire une pause dans ce marathon qu'est la rentrée littéraire afin de lire Le garçon incassable de Florence Seyvos (éds de l'Olivier).
Pour la semaine à venir mon choix n'est pas arrêté. J'ai plein d'envies : Richard Russo (éds Table Ronde), Bergsveinn Birgisson (éds Zulma), James Meek (éds Métailié)...
Je vous laisse maintenant la parole !