vendredi 21 juin 2013

Zakuro


Aki Shimazaki, Zakuro, Actes Sud

Mon coup de coeur :

Nous tenons là un roman envoûtant dont le thème principal est un secret de famille et dont l'intrigue mêle judicieusement les faits historiques aux parcours individuels.
Un homme -Tsuyoshi- découvre accidentellement que son père qu'il croyait mort depuis longtemps fut en réalité fait prisonnier au fin fond de la Sibérie à la fin de la seconde guerre mondiale et qu'il dut -une fois libéré dans camps d'internement- changer d'identité pour pouvoir retourner sur sa terre natale. Mais cette usurpation va finalement lui causer plus de problèmes qu'elle ne va en résoudre. Cela va l'obliger à reconstruire sa vie ailleurs et loin des siens pendant 25 ans. En pensant se sortir d'une situation périlleuse, cet homme va davantage s'y enfoncer en entraînant ainsi sa famille dans le plus grand désespoir...
"On parle beaucoup des victimes des bombes atomiques larguées sur Nagazaki et Hiroshima. Pourquoi ignore-t-on les victimes des travaux forcés en Sibérie ? (...) On dit que plus de 600 000 japonnais y ont été déportés, sans préavis. Pire encore, plus de 60 000 y sont morts (...) Vingt cinq ans après la fin de la guerre, personne ne connaît le nombre exact de victimes de cette déportation, mortes ou vivantes."
Ayant découvert la nouvelle identité de son père, le drame qui a inauguré sa nouvelle vie et la culpabilité qui continue de le ronger, Tsuyoshi ne sait pas comment réagir ni de quelle manière réintroduire ce père au sein d'une famille qui a grandi sans lui. Seulement ce qui compte avant tout pour ce fils c'est que sa mère -atteinte d'Alzheimer- puisse revoir une dernière fois l'homme qu'elle n'a jamais cessé d'aimer et d'attendre même si pour cela il doit se taire et garder pour lui le poids de ce secret.

Zakuro est un bijou littéraire. De ce court récit émanent beaucoup de beauté, de tendresse et une incroyable tension dramatique. Les personnages restent dignes et beaux malgré les drames et les tourments vécus. J'aime les récits qui parlent des affres de l'Histoire tout autant que des destins individuels et qui laissent entrevoir des événements historiques peu connus comme la déportation des travailleurs japonais de Mandchourie vers la Sibérie. Et celui-ci est particulièrement bien réussi avec ces questionnements autour du droit et de la morale (comme dans Antigone) et de la combinaison mémoire-Histoire (celle que perd la mère, celle des crimes commis, celle qui permet de comprendre les autres et le monde dans lequel les personnages évoluent) ou avec ces rappels de motifs comme celui de la grenade "zakuro" qui est autant un fruit, une arme, le symbole de la bêtise et le nom du restaurant que le père a fondé au cours de sa seconde vie. En peu de pages, Shimazaki tisse minutieusement son récit et réussi un vibrant plaidoyer contre les atrocités commises au nom de la guerre tout en décrivant une très belle relation mère-fils.

Bien que faisant partie d'un ensemble dont le thème central est l'injustice, ce volet peut se lire indépendamment des autres.


L'auteur :
Née au Japon en 1956, Aki Shimazaki vit au Québec et écrit en français depuis une quinzaine d'années. Sa pentalogie Le poids des secrets composée de Tsubaki, Hamaguri, Tsubame, Wasurenagusa et Hutaro lui a permis de recevoir le Prix du Gouverneur général en 2005 pour ce dernier volet.

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