lundi 1 avril 2013

Le rapport de Brodeck


Philippe Claudel / Livre de Poche

Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, éditions Stock et LGF


Mon coup de coeur :
Dans un village isolé "sur les contreforts de la montagne, posé entre les forêts comme (un) oeuf dans des nids", un village ancré dans une région dont le nom nous est tu (mais que j'imagine être un pays germanophone d'Europe centrale) un étranger -surnommé l'Anderer- arrive accompagné de son âne et de son cheval avec son accoutrement bizarre, une politesse excessive, des manières sophistiquées et surtout une manie de tout écrire dans un carnet. Sa simple présence suscite la méfiance puis la haine de tous sauf de Brodeck. Ne le supportant pas et portés par une fureur collective les villageois décident un jour de le tuer. Peu après cet terrible acte -  magnifiquement retranscrit- que tous nomment "l'Ereigniës", ces mêmes personnes confient à Brodeck la charge d'un rapport qui pourrait justifier leur ignominie et ainsi leur donner bonne conscience.
Le prêtre lui-même fait ce dramatique constat: "Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de question, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait".
Alors qu'il désirait oublier les horreurs dont il a été victime, Brodeck se trouve contraint d'écrire sur un autre acte de barbarie. Mais plus que l'enquête sur les événements qui ont conduit à ce meurtre collectif, ce qui le motive c'est de ne rien dissimuler de sa vie et des faits qui ont marqués le village.
"Si mon récit ressemble à un corps monstrueux, c'est parce qu'il est à l'image de ma vie, que je n'ai pu contenir et qui va à vau-l'eau". Car sa vie témoigne des horreurs du XXème siècle: il fut successivement un enfant abandonné recueilli par une vieille femme, un jeune homme dénoncé par ces mêmes villageois comme "Fremder" (étranger) lors de l'arrivée des "Fatergeheime"(nazis) et un survivant des camps de la mort. Son récit nous entraîne progressivement et inéluctablement vers l'insoutenable.
En jouant avec la chronologie et en procédant par associations d'idées, Brodeck/Claudel dévoile la noirceur de l'âme humaine, la bêtise et la lâcheté qui entraînent les hommes à s'humilier et à s'entre-tuer.
"L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager". Derrière cette chronique d'un village perdu au milieu de nulle part Brodeck raconte la seconde guerre mondiale et ses atrocités, même si c'est par allusions tout y est: l'occupation, les dénonciations, les déportations et la résistance. C'est d'ailleurs ce qui rend ce récit aussi bouleversant car derrière la beauté du texte se dissimule l'horreur.

Incroyable conteur et fin styliste, Philippe Claudel nous offre un roman fait de couleurs, d'odeurs et de sons mais aussi de métaphores et d'ellipses. Un roman dans lequel l'auteur manie une langue qui transcende la gravité du sujet et qui retranscrit fort justement les souffrances physiques et morales de Brodeck et de ses proches.

Outre la cruauté du propos et la beauté dramatique des images qui défilent sous nos yeux ébahis, il y a dans ce roman des interrogations qui perdurent au-delà de la lecture.

Le rapport de Brodeck est un roman qui se lit autant qu'il s'éprouve.


L'auteur :
Philippe Claudel est un écrivain et réalisateur français né en 1962 en Meurthe-et-Moselle d'un père ancien résistant.
Remarqué par la critique en 1999 lors de la parution du Café de l'Exelsior (éditions La Dragonne), il obtient le prix Renaudot en 2003 pour Les âmes grises (Stock 2003, LDP 2006) puis le Goncourt des Lycéens pour Le rapport Brodeck (Stock 2007, LDP 2009). Il est également l'auteur de La petite fille de monsieur Linh (Stock 2005, LDP 2007), de l'Enquête et du Parfum également parus chez Stock.


lilimarleen
photo prise par moi-même lors de mon séjour à Berlin en 2008

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