lundi 18 mars 2013

Requiem pour un paysan espagnol


Ramon Sender / Attila

Ramon Sender, Requiem pour un paysan espagnol, éds Attila  

Mon coup de coeur :
Longtemps censurée cette admirable nouvelle -dans un tout aussi admirable écrin- a enfin revue le jour grâce aux éditions Attila qui l'ont rééditée en 2010.
Bien avant le début de la narration Paco est mort exécuté par les phalangistes (jamais explicitement nommés). Et pourtant tout le récit tourne autour de lui: son enfance, sa clandestinité puis son exécution. C'est d'ailleurs en s'apprêtant à célébrer une messe en son honneur que le prêtre qui l'a autrefois baptisé se remémore la vie de celui qui fut son protégé. Assister aux moments décisifs de la vie de Paco nous permet indirectement de suivre le quotidien d'un village aragonais aux premières heures de la République, alors que de grands changements politiques et économiques sont en marche. Car bien qu'adoré par les villageois qui l'ont élu conseillé municipal, Paco est détesté par les notables proches des phalangistes comme Don Valeriano et Don Gumersindo dont l'indécence et la cruauté éclatent tout au long du récit .
J'aimerais rajouter à quel point j'ai apprécié les notes folkloriques qu'apportent l'évocation de la vie villageoise. Ainsi Sender compose de beaux portraits des quelques personnalités marquantes voire burlesques qui gravitent autour de Paco à l'image de la vieille Jeronima, figure païenne du village, du cordonnier ou de ces femmes qui se retrouvent autour du lavoir pour se moquer et déblatérer. Ces scènes apportent nous seulement une épaisseur sociologique au récit mais aussi une respiration dans ce texte tendu.
Ces petits moments de bonheur sont radicalement mis à mal avec l'arrivée d'hommes armés de bâtons et de pistolets venus battre et abattre les paysans. La présence des phalangistes va définitivement perturber le quotidien des villageois. Longtemps proche du prêtre, Paco a fini par rejoindre les Républicains, par défendre l'abolition des biens seigneuriaux puis par se battre contre ces troupes qui propagent avec eux la terreur et la mort.
C'est donc par petites touches que se dessine sous nos yeux la vie d'un village déchiré par la guerre civile. Mais au-delà du sort individuel de quelques individus, ces réminiscences révèlent le drame d'un pays. Paco aimé de son vivant devient à sa mort un martyr pour qui on compose une ritournelle, ritournelle chantée inlassablement par l'enfant de choeur et grâce à laquelle la mort injuste et violente de Paco se rappelle à la mémoire de tous.

C'est avec beaucoup de subtilité et d'à propos que Sender témoigne du traumatisme que fut la guerre civile espagnole. S'il dévoile brillamment la complexité des hommes lorsqu'ils sont aux prises avec les horreurs de l'Histoire, il enrichit son propos d'une dimension sociale importante.

Le récit est court et pourtant d'une puissance narrative admirable. En peu de mots, Sender signe un livre  tout à la fois sur la culpabilité, la trahison et la lâcheté humaine. Un livre ESSENTIEL.


L'auteur :
Ramon Sender fut un journaliste anarchiste espagnol dont la vie fut marquée par la guerre civile. Il perd successivement sa femme puis son frère lequel fut assassiné pour avoir été démocratiquement élu maire d'une petite ville. 
En 1938 il s'exile au Mexique où il écrit plus de 60 romans dont ce chef d'oeuvre longtemps interdit sous Franco. Son exil et ses drames personnels ont contribué à faire de lui une figure majeure de la littérature ibérique.
Requiem est accompagné dans cette présente édition d'une nouvelle parfaitement inédite en France Le Gué.

Et plus si affinités :
Difficile d'évoquer des excécutions de civils espagnols sans parler de Goya et du célèbre Tres de Mayo (bien que les sujets soient différents): Durant la nuit du 2 au 3 mai 1808 des soldats napoléoniens capturent et excécutent des combattants espagnols. La figure centrale vêtu de blanc se pose en martyr comme le Paco de Requiem.


mis en ligne par: http://4.bp.blogspot.com

Et toujours plus :
Je vous invite grandement à vous connecter sur un autre blog et de voir de quelle manière Ramon Sender a été cannibalisé par Claro (l'auteur de l'incroyable CosmoZ paru chez Actes Sud)


photo mise en ligne par www.la-guerre-d-espagne.net
Image mise en ligne par www.la-guerre -d-espagne.net

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